La France gronde. Depuis plusieurs semaines, un mouvement de grève est en cours dans plusieurs raffineries françaises. L’objet de ces grèves : des salaires qui stagnent, une inflation qui galope avec pour effet principal une réduction du pouvoir d’achat. Pour y faire face, les salariés grévistes de Total Energie et de Esso-ExxonMobil souhaitent une augmentation significative de leurs salaires.
Dans les premiers jours, le gouvernement n’a pas souhaité se mêler à ce conflit social, laissant les directions respectives négocier, ou pas, avec leurs salariés. C’était avant qu’une pénurie d’essence touche 30% des stations et que la colère sociale ne s’étende à d’autres secteurs conduisant à une grève interprofessionnelle ce mardi 18 octobre. Coup de force ou négociations, quelle va être la réaction du gouvernement ?
De l’indifférence au mensonge
Vingt jours. Cela fait vingt jours que la grève a commencé dans les raffineries. Comment se fait-il qu’un mouvement aussi long n’est pas obtenu une réponse, ou au moins une réaction, plus tôt ? Le premier coupable de cette situation de pénurie, c’est d’abord le gouvernement qui a répondu au commencement de cette grève par son indifférence. Depuis le commencement du conflit, le ministre délégué chargé des Transports s’est notamment fait remarquer par sa discrétion et sa faible implication. Volonté d’étouffer le sujet ou aveuglement : le 9 octobre, Elisabeth Borne annonçait que la situation s’améliorerait « tout le long de la semaine », le 12 octobre, Olivier Véran déclarait encore qu’il y aurait « une amélioration très sensible dans les prochains jours ». Le 16 octobre, le pourcentage de stations essence en difficulté reste toujours stable à 30 %.
Malheureusement pour le gouvernement, le « dialogue social » qu’il promeut tant ne fonctionne pas toujours. Les Français subissent la pénurie et la colère monte, elle s’accumule. La stratégie gouvernementale change alors : il s’agit de décrédibiliser ce mouvement. Vous avez sûrement vu fleurir les fiches de paie annonçant qu’un salarié d’une raffinerie serait payé plus de 5000 euros par mois. Cette information est bien sûr erronée, le salaire moyen d’un raffineur se situant autour de 2000 euros. Délivrée par le gouvernement avec l’appui de Total, elle a pourtant un objectif simple : dresser les Français contre les grévistes, ces « privilégiés ». Total, qui a distribué plus de 10 milliards de dividendes au premier semestre, persuade ceux qui vivent à 1400 euros par mois que leur principal ennemi est celui qui en gagne 2000. Diviser les classes populaires et moyennes pour mieux régner.
L’engagement du rapport de force
Parce que la stratégie du gouvernement a pour l’instant du mal à porter ses fruits, il engage toutes ses forces pour que l’opinion publique ne dirige pas sa colère vers les représentants de l’Etat mais plutôt en direction des grévistes. La Une du quotidien Le Parisien illustre parfaitement cette stratégie en titrant « Qui sont les extrémistes de la grève ? ». Il vous suffira d’allumer une chaîne d’information en continu pour entendre les expressions « prise d’otage », « blocage », « extrémiste » pour désigner un mouvement social qui réclame simplement une hausse des salaires.

Gabriel Attal, ministre délégué chargé des Comptes Publics, n’a pu s’empêcher de questionner au milieu du débat sur le projet de loi de finances 2023 : « Quand est-ce qu’une manifestation a rempli le frigo ? ». L’ancien socialiste aura oublié les grèves de 1936 qui ont permis une hausse des salaires de 12 % en moyenne en France, l’obtention de deux semaines de congés payés et la semaine de 40 heures. Il aura aussi oublié les grèves et manifestations de mai 1968 et les accords de Grenelle qui en ont découlé. A chaque fois qu’il y a eu de grandes avancées sociales, c’est parce que des Français se sont mobilisés en masse.
La stratégie du gouvernement fonctionne-t-elle pour autant ? Selon un sondage réalisé par l’institut Elabe, 42 % des Français soutiennent la grève contre 40 % qui la désapprouvent et 18 % qui restent indifférents. Malgré les éléments de langage du gouvernement contre les grévistes, les Français soutiennent plus le mouvement de grève que sa diabolisation.
Un embrasement ?
Cette situation pourrait-elle provoquer un élargissement de la mobilisation ? Plusieurs points pourraient en effet y mener :
– Le gouvernement a engagé la réquisition de salariés grévistes, ce qui a eu pour conséquence la colère des différents syndicats. La CGT, qui a annoncé une date de mobilisation interprofessionnelle le mardi 18 octobre, est désormais rejointe par FO, la FSU et Solidaires. En plus des raffineries, la SNCF, les transports routiers et l’Education Nationale seront également mobilisés.
– L’évolution du débat à l’Assemblée Nationale pourrait également jouer sur la colère sociale. Plusieurs sources proches du gouvernement affirment que le recours à l’article 49.3 pourrait avoir lieu dans les prochains jours afin d’annuler les quelques amendements sur lesquels les députés Renaissance ont été mis en minorité, notamment la taxation des superprofits.
– La réforme des retraites, prévoyant un décalage de l’âge de départ à 65 ans, est également dans toutes les têtes. L’examen du texte ne devrait pas avoir lieu avant le mois de janvier, mais les discussions ont déjà commencé entre l’exécutif et les syndicats. Laurent Berger, secrétaire de la CFDT, a par ailleurs annoncé qu’il mettrait toutes ses forces pour s’opposer à un décalage de l’âge de départ à 65 ans.
Nous sommes pourtant encore loin de l’embrasement, qui reste aujourd’hui plutôt un désir qu’une réalité. La « marche contre la vie chère » lancée par la NUPES n’a réussi à réunir qu’entre 30 000, selon la police, et 140 000 personnes selon les organisateurs. Loin des millions de manifestants que la France a connus au plus fort des mouvements sociaux historiques. La prochaine étape se déroule demain, mardi 18 octobre. Reste aux Français à démontrer qu’ils ne sont pas encore totalement résignés.
Pierrick Lavoine