Le phénomène Mäkelä : une étoile naît

Proposer un portrait du jeune chef d’orchestre finlandais Klaus Mäkelä (26 ans), c’est voler au secours de la victoire. Chacun inventorie son intense activité, recense ses récompenses, comptabilise les orchestres avec lesquels il a déjà joué, ceux dont il était et reste (L’Orchestre Philharmonique d’Oslo),  est déjà (l’Orchestre de Paris), deviendra dans quelques années (le Concertgebouw d’Amsterdam) le directeur musical. On encense ses interprétations, s’extasie sur ses fertiles complicités avec les partenaires solistes, se réjouit devant le large éventail de son répertoire symphonique jusqu’aux compositeurs contemporains les plus audacieux. Pas encore une star, mais déjà une étoile. Disert à l’opposé de son maitre Jorma Panula qui l’a formé comme tant d’autres chefs d’exception à l’Académie Sibelius d’Helsinki (I) sympathique, élégant, ouvert, souriant, rigoureux, exigeant, souple, adoré des musiciens, dont ceux de l’Orchestre de Paris qui l’ont désigné à l’unanimité comme leur directeur musical à l’issue d’un seul concert, Klaus Mäkelä séduit, sans irriter encore. Mais on entend déjà des réticences bien vétilleuses : il semble de bon ton pour certains de ne pas céder à l’admiration toujours suspecte. Passons.

L’Orchestre de Paris en répétition générale dirigé par Klaus Makela le 09 juillet 2020. Philharmonie de Paris.

On a découvert ce violoncelliste de formation lors de concerts à Toulouse en 2017, 2018 et 2019, timide, presque gauche avant de gagner l’estrade. Mais dès qu’il a levé la baguette, il s’empare de l’orchestre, de l’espace, de la musique avec une détermination qui apparente ce tout jeune homme à un héros romantique. Portrait d’emblée trop louangeur, dira-t-on, n’évitant pas, même par prétérition, les clichés people (le look d’un Yves Saint – Laurent adolescent, le musicien venu du froid, le nouveau prodige…) que suscite précocement l’épiphanie de sa légende.  Mais l’artiste, le musicien, justifient cet engouement et notre enthousiasme.  Regardez-le (sur Mezzo, Medici, YouTube) et écoutez-le. Regardez sa gestuelle pleine d’empathie, la délicate chorégraphie des mains, l’absence de pause, son aisance et son autorité naturelles, le laser chaleureux de son regard. Et son sourire d’enfant émerveillé, presque malicieux. Ecoutez l’une des sept symphonies de Sibelius dont il vient de graver l’intégrale à la tête de son Philharmonique d’Oslo et dont il parle avec gravité, émotion, un sens aigu de la formule. Par exemple, la deuxième en Ré majeur. L’entendre explorer l’univers de son compatriote c’est redécouvrir un compositeur (1865 – 1957) plein de vigueur et de fièvre, loin des tristes valses tristes, dont la musique roule des blocs emportés, enfle telle une lave, brûle dans les profondeurs de l’âme. Et cependant la direction de Mäkelä s’avère tenue, maitrisée, galbée. C’est sans doute ce mélange constant de souffle et de contrôle, de pulsion et de gravité, d’incandescence et d’élégance qui serait la signature du déjà maestro. Et domine le souci absolu de la progression dramatique, si difficile à construire dans les strates assemblées par le compositeur et le développement de leurs excroissances.  Les spécialistes ne s’y trompent pas qui ont accordé à Mäkelä la récompense flatteuse du Prix Sibelius 2022 décerné par la Société norvégienne du même nom. 

Prophète en son pays où il dirige le festival de Turku , convié partout, il promeut les compositeurs contemporains finlandais. Nombreux sont les concerts où telle page de la grande Kaija Anneli Saariaho, tel concerto de Magnus Lindberg, telle œuvre de son confrère Esa-Pekka Salonen sont offerts à la curiosité du public. Notons que ces trois compositeurs sont parmi d’autres les fondateurs en 1977 du groupe joliment nommé Oreilles ouvertes (Korvat auki) dont Mäkelä poursuit la mission : diffuser la musique de notre temps.  Les affinités ce Petit Prince nordique avec la musique française sont exceptionnelles. Il avait choisi d’interpréter à Toulouse les Offrandes oubliées de Messiaen, les Images pour orchestre de Debussy, un Boléro de Ravel et ailleurs un Tombeau de Couperin, raffiné et subtil ou les Jeux de Debussy, « l’une des plus belles pièces orchestrales du répertoire » s’émerveille-t-il. Et on prise ses Chostakovitch, Mahler, Brahms et Beethoven. Passionné de jazz, boulimique d’enregistrements patrimoniaux, cet amoureux fou de musique et de son a conçu soigneusement la saison présente de l’Orchestre de Paris. Concocté serait le terme exact.  Il avoue en effet avoir préparé « un véritable festin de sonorités orchestrales ». On devine qu’il les a assorties avec gourmandise, appariées avec délectation, cherchant des mariages de saveurs, de couleurs, de textures. Rendez-vous pour de prochaines agapes musicales avec notre chef finlandais à la tête de l’Orchestre de Paris à la Philharmonie : 01 – 02 – 03/ 03, avec la violoniste Janine Jansen, Œuvres de Kaija Saariaho, Sibelius, Berlioz ; 13-14/04 avec la pianiste Yuja Wang, Œuvres de Sibelius, Lindberg, Tchaïkovski. 

Tournée du 06 au 18/03 à Luxembourg, Amsterdam, Cologne, Vienne, Munich, Essen, Hambourg

(I) Issu de cette même académie, le chef finlandais Tarmo Peltokoski, 22 ans, vient d’être nommé directeur musical de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. 

Jean Jordy

Photographies : Mathias Benguigui Pasco and Co