Les éditions Perrin publient un passionnant dialogue entre les deux historiens militaires Jean Lopez et Michel Goya sur le conflit russo-ukrainien qui fait rage à l’Est. Une synthèse claire et saisissante sur un sujet brûlant.
C’est un fait : Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine, enseignant et historien, était avant le 24 février 2022 un quasi-inconnu. Mais « l’opération militaire spéciale » déclenchée par Vladimir Poutine en agressant l’Ukraine a fait de cet auteur d’essais sur la guerre moderne une véritable star des plateaux télés hexagonaux. Et voici l’officier devenu le spécialiste médiatique attitré des enjeux militaires. Ses connaissances techniques irréprochables, son sens de la pédagogie et son positionnement résolument pro-ukrainien lui tiennent lieu de carte de visite.
D’autant qu’il dialogue ici avec l’excellent Jean Lopez, l’auteur avec Lasha Otkhmezuri de la somme Barbarossa : 1941. La guerre absolue (2019, Passés Composés), sur l’envahissement de l’URSS par la Wehrmacht. Ce spécialiste de l’Armée rouge et du second conflit mondial apporte, sur chaque point, rappels et comparaisons historiques sur l’évolution des forces armées russes en cent ans.

Ensemble, ils livrent une synthèse immédiate d’une grande clarté sur le conflit en cours. L’introduction s’attache à montrer comment les deux peuples « frères », du moins dans la vision russe, se sont coudoyés, alliés et désunis au cours de leur double histoire tumultueuse. On renvoie ici au long article que l’historien Jean-Paul Scot a consacré au sujet dans Commune — il y revient sur la conflictualité historique entre nationalismes grand-russien et petit-russien.
Puis les auteurs abordent l’invasion du 24 février 2022. Sa prévisibilité. Son ampleur. La première vague conçue comme une Blitzkrieg. Son échec rapide. L’état-major russe a-t-il surestimé sa force et sous-estimé celle de son adversaire ? L’annexion de la Crimée, réussie facilement en 2014, leur a-t-elle donné l’impression que l’Ukraine se livrerait sans se défendre ?
Après l’échec de la première phase de mouvement, la direction russe opère un « pivot », renonce brutalement à « dénazifier » et à « démilitariser » l’Ukraine, et prétend cette fois se cantonner à la conquête de ses régions orientales russophones. D’où une guerre de position où l’ours russe pilonne à l’artillerie le renard ukrainien, grignotant son territoire.
Enfin intervient la troisième phase, avec la contre-attaque ukrainienne surprise de septembre 2022, aboutissant à la reprise de Kherson et à une forme d’enlisement russe. La récente conquête des ruines de Bakhmut par les mercenaires de Wagner est-elle de nature à changer la donne ?
Voilà en tous cas un livre d’une grande précision — bilans comparés des pertes des belligérants, listes et descriptifs exhaustifs des matériels et des armes utilisés — pour quiconque voudrait faire le point sur le premier envahissement d’un pays européen depuis la seconde guerre mondiale. Un séisme qui n’a pas fini d’engendrer ses répliques sur nos vies…
Maxime Cochard