La sobriété, nouvelle austérité ?

Ce jeudi 6 octobre, le gouvernement a présenté son plan dit de « sobriété énergétique ». Depuis quelques semaines, ce concept habituellement porté par les hérauts de l’écologie politique est dans toutes les bouches. Cette sobriété est désormais analysée comme l’outil qui nous permettra de passer un hiver qui s’annonce difficile, sans gaz russe et avec des réacteurs nucléaires qui pourraient ne pas être à leur niveau optimal. Mais plusieurs questions se posent : d’abord, comment la sixième puissance mondiale en est-elle arrivée là ? Qui devra faire le plus d’efforts ? Et sans justice sociale, la sobriété ne serait-elle pas simplement une nouvelle forme d’austérité ?

La France en voie de tiers-mondisation énergétique ?

Il existe deux types de sobriété énergétique : la sobriété volontaire et celle qui est contrainte. La première est une réduction de notre consommation d’énergie visant à atteindre des objectifs de réduction d’émissions de CO2 et donc, in fine, à lutter contre le changement climatique. La seconde est la conséquence d’un contexte qui ne dépend pas de notre volonté : la raréfaction des ressources énergétiques, l’usure de nos centrales nucléaires, ou encore une guerre comme celle se déroulant en Ukraine.

La France est actuellement dans un contexte de sobriété contrainte. Du fait du sous-investissement dans la filière nucléaire ainsi que dans l’entretien de notre parc, nombre de nos réacteurs sont aujourd’hui en maintenance pour une durée plus ou moins longue. Alors que la France était un pays leader du nucléaire civil dans la seconde moitié du XXe siècle, la pression générée par le lobby anti-nucléaire a fait basculer l’opinion publique dans les années 2000. Les politiques de droite comme de gauche ont alors promu le statu quo ou la diminution de la part de nucléaire dans notre mix énergétique. Emmanuel Macron lui-même annonçait encore le 27 novembre 2018 qu’il était nécessaire de fermer « 14 réacteurs de 900 mégawatts d’ici à 2035 », prétextant son ambition dans la lutte contre le réchauffement climatique.

C’était avant de changer d’avis quatre ans plus tard, annonçant en pleine campagne pour l’élection présidentielle et dans un contexte de crise énergétique imminente, la construction de sept à quatorze nouveaux réacteurs d’ici à 2035. Une date normale au vu du temps nécessaire pour construire un réacteur nucléaire, mais bien éloignée alors que la crise frappe d’ores et déjà les Français, les entreprises et les collectivités locales.

De la rustine écologique à l’austérité gouvernementale

Dans ce contexte, le gouvernement, par la voix de la ministre à la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a annoncé son plan de sobriété énergétique. Le but : réduire notre consommation énergétique de 10 % dans les deux prochaines années. Un plan sans contrainte mais avec incitations, où l’on compte parmi les mesures : « favoriser le covoiturage », « inciter au télétravail », « informer les Français sur la météo de l’électricité »… Un budget de 800 millions d’euros est prévu pour accompagner les Français et les collectivités dans l’application de ces mesures de sobriété. Un montant à comparer avec les 10 milliards d’euros qu’il serait nécessaire d’investir chaque année pour rénover énergétiquement tous les logements sociaux et les bâtiments publics, par exemple.

Ces mesures semblent donc être des rustines, à l’image des cols roulés et des doudounes mises en évidence par les ministres depuis plusieurs semaines. Ce plan ne contienne ni le mot « justice », ni celui « d’égalité ». Les « jets privés » ne sont pas davantage mentionnés. Le plan est totalement exempt des questions de justice sociale, pourtant au cœur du débat, comme le démontre cette carte de l’APUR [Atelier Parisien de l’Urbanisme, NDLR] sur la consommation énergétique à Paris, dans laquelle les quartiers aisés de la capitale s’avèrent les plus énergivores. Or qui doit porter le plus les efforts de sobriété sinon ceux qui consomment le plus ?

Carte de l’APUR publiée par Le Parisien

Cette sobriété gouvernementale est donc principalement une austérité énergétique visant les classes populaires. Son ambition écologique est également secondaire : le but n’est pas de réduire nos émissions de CO2, mais de limiter la tension énergétique face à l’hiver. La preuve par deux exemples : le gaz qui remplit nos réserves aujourd’hui est en grande partie issu du gaz de schiste américain, le plus nocif pour l’environnement. Le second exemple est celui de la réouverture de la centrale à charbon de Saint-Avold en Moselle, pourtant fermée par notre Président pour des raisons écologiques.

La sobriété énergétique est-elle pour autant à jeter ?

Le concept de sobriété est utilisé par différentes organisations à gauche de l’échiquier politique. Les partis Europe Ecologie Les Verts et La France Insoumise défendent par exemple fermement ce concept, s’appuyant sur le scénario dit « négaWatt », du nom d’une association anti-nucléaire. Or, ce scénario prévoit des mesures importantes de sobriété visant par exemple à réduire le nombre de constructions en France en passant de 200 000 créations de maisons individuelles par an à 19 000 d’ici à 2050, ou la diminution de 26 % de nos déplacements personnels, ou encore la réduction de notre utilisation des ordinateurs et consoles de jeux. Il a comme objectif d’atteindre la neutralité carbone et un mix énergétique à 96 % d’énergies renouvelables en 2050. Une belle promesse qui pose cependant quelques questions et notamment celle-ci : est-il réellement possible de sortir du gaz et du pétrole en électrifiant nos modes de vie, tout en supprimant toutes les centrales nucléaires qui produisent aujourd’hui cette même électricité décarbonée ?

D’autres à gauche, comme le Parti Communiste Français, estiment qu’il est justement nécessaire de s’appuyer sur cette filière nucléaire pour décarboner notre mix énergétique et sortir du pétrole ou du gaz. L’argument est logique : si nous souhaitons, par exemple, sortir de la voiture à essence pour lui préférer la voiture électrique, ou si nous souhaitons augmenter le maillage de nos lignes de trains pour réduire l’usage de l’avion, ou si nous souhaitons relocaliser notre industrie en France, il sera nécessaire d’augmenter notre production en électricité. Concernant la sobriété énergétique, pour le PCF, elle passe d’abord par la sobriété des plus riches dans leurs modes de vie. Rappelons que les soixante-trois milliardaires Français polluent plus que 50% de la population française — un chiffre avancé par les ONG écologiste Oxfam et Greenpeace, statistique qui peut cependant être questionnée car elle contient les émissions des entreprises possédées par les milliardaires et donc le travail de milliers de salariés. Par ailleurs, la seule sobriété des plus riches ne suffira pas à faire face aux crises énergétiques que nous traversons et traverserons.

Le médiatique ingénieur Jean-Marc Jancovici emploie, lui, une métaphore très efficace pour expliquer la différence entre sobriété contrainte ou volontaire : dans le premier cas, il s’agit d’une voiture à pleine vitesse qui se prend un mur. Les dégâts sont nombreux et la souffrance importante. C’est ce que nos sociétés endureront : une austérité énergétique s’il n’y a pas de réduction organisée et volontaire de notre consommation d’énergie. Dans le second cas, la voiture parvient à ralentir et, si elle ralentit suffisamment, à contourner le mur. Si tel n’est pas le cas, espérons que le gouvernement nous fournisse d’ici-là suffisamment de doudounes et de cols roulés pour amortir le choc. 

Pierrick Lavoine

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