Dans des romans d’automne, un nouveau mal du siècle en banlieue parisienne…

Lors de l’automne 2023, on a parlé fugitivement de deux romans, écartés des courses aux prix, assurément affaiblis par des défauts visibles de construction ou d’écriture, mais qui s’efforçaient de lier l’univers intime, littéraire, et la sociologie désespérante d’une jeunesse de banlieue à l’abandon, au bord de l’explosion : premier roman, récit d’apprentissage, de Mokhtar Amoudi, Les Conditions idéales chez Gallimard ; roman d’un auteur plus expérimenté, Thomas B. Reverdy, Le grand secours chez Flammarion. Continuer de lire Dans des romans d’automne, un nouveau mal du siècle en banlieue parisienne…

Quelques fleurs de Jean Ristat

Jean Ristat (1943-2023) vient de mourir. D’autres s’efforceront au fil des hommages de prendre la mesure d’une activité littéraire, intellectuelle et politique qui fut toujours au service de la liberté, pour notre ami valeur cardinale avec l’amour – mais c’est, eût-il dit, la même chose.

Commune n’a pas envie à cette heure, au milieu du chagrin, de sortir la chaîne d’arpenteur, de mettre en ordre des événements, de dater les résurrections successives du journal d’Aragon Les Lettres françaises, par exemple, qui constitua l’un des longs combats de Jean Ristat, ou de délimiter des périodes esthétiques, en un mot de réaliser un utile mais froid travail d’histoire littéraire. Nous aurons, hélas, tout le long temps du deuil pour ce faire. D’un poète défunt qui vient, le 8 décembre dernier, de rejoindre la terre de Touraine, au cimetière de Saint-Ouen -les -Vignes, l’on propose ici de rassembler quelques fleurs

Il faut d’abord d’un poète lire et relire les œuvres. Voici, parmi d’autres extraits évidemment possibles, et conçu selon des préférences personnelles absolument assumées, ce qui justifie une admiration : entrons ensemble dans le jardin de Jean. Continuer de lire Quelques fleurs de Jean Ristat

La revue « Europe », tout un siècle de littérature et de création

L’année 2023 marque le centenaire de la grande revue Europe, un anniversaire qui a donné lieu d’une part à un important colloque qui s’est tenu du 26 au 28 janvier à l’Ecole Normale Supérieure, trois journées riches qui ont permis de rappeler les enjeux et l’histoire de la revue, trois journées qui ont permis de montrer des moments précis de la revue mais aussi ses perspectives passées comme présentes. Depuis peu, ces communications sont réunies dans un numéro hors-série, paru au début de l’automne : des actes comme une circulation foisonnante et féconde dans l’histoire d’Europe. Continuer de lire La revue « Europe », tout un siècle de littérature et de création

Raymond Radiguet - Maxime Cochard

Cent ans après Le Diable au corps, l’insolence intacte de Raymond Radiguet

Raymond Radiguet, incroyable météore des lettres françaises, est mort dans la stupeur générale il y a cent ans. Il venait à peine, âgé de vingt ans, de rencontrer un succès fulgurant avec Le Diable au corps. En cette fin d’année, ce double anniversaire Radiguet est marqué par la parution des œuvres complètes de l’auteur chez Grasset, son éditeur d’alors, mais aussi par une remarquable biographie de Julien Cendres et Chloé Radiguet – nièce du romancier – chez Robert Laffont. De quoi briser bien des lieux communs et redécouvrir le talent d’un véritable phénomène, dont la fratrie s’illustra par son engagement communiste et résistant. Continuer de lire Cent ans après Le Diable au corps, l’insolence intacte de Raymond Radiguet

Pour en finir avec l’apocalypse

Avec les ruptures climatiques mondiales, la question écologique s’invite dans la production poétique contemporaine. Rodolphe Perez propose ici une réflexion sur le pouvoir de la poésie face aux discours d’apocalypse à partir de deux recueils récents : La Ruée vers l’ombre d’Arthur Billerey et La Fin du monde de Guillaume Marie et Samuel Deshayes. Continuer de lire Pour en finir avec l’apocalypse

Rire de Sade

Le rire noir de Sade

Au moment où la BNF expose le manuscrit des Cent Vingt Journées de Sodome, il paraît pertinent de réfléchir sur le rire chez Sade qui se révèle grinçant et interroge tous les aspects de la noirceur. Du rire libertin, irréligieux, au rire cruel, féroce et sardonique, Sade, romancier et philosophe, décline un panel nuancé d’émotions. Le rire devient à la fois instrument de pouvoir, séparant ceux qui ont le droit de rire et ceux à qui cela est interdit, et instrument de torture. Autour du rire, victime et bourreau entament une nouvelle danse. Continuer de lire Le rire noir de Sade

« L’amour », histoire d’un couple par François Bégaudeau

L’amour est sobre. Il dure une vie, rencontre seulement des péripéties mineures. Les relations  difficiles, tumultueuses, conflictuelles, traversées par les voyages, les adultères, les tentatives de meurtre et la vaisselle qui vole sont omniprésentes en littérature. L’amour qui court sur les décennies et unit les personnes ordinaires est autant rare en fiction que banale dans le réel. Les rencontres improbables entre personnes de milieu sociaux … Continuer de lire « L’amour », histoire d’un couple par François Bégaudeau

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Lilia Hassaine, Panorama, ou l’avenir entre l’idéal et le cauchemar de la transparence

Il n’y a pas d’école pour devenir romancière ou romancier. Mais il y a des cheminements qui expliquent ce parcours. Lilia Hassaine a fait des études de Lettres, puis elle a fait une carrière de journaliste, observant et commentant sur des plateaux de télévision des images du monde contemporain. Un pied d’abord dans l’imaginaire de la littérature, un autre pied dans la réalité d’aujourd’hui. De … Continuer de lire Lilia Hassaine, Panorama, ou l’avenir entre l’idéal et le cauchemar de la transparence

Sébastien Roch, chef d’œuvre méconnu d’Octave Mirbeau

Octave Mirbeau, l’auteur du Journal d’une femme de chambre et de Dingo, est aussi celui de Sébastien Roch, portrait saisissant d’une troublante modernité. La genèse d’un anti-héros On est dans une petite ville de l’Orne, pendant ces années 1860 où la France a juste commencé çà basculer dans l’industrialisation, sans que les conséquences de cette mutation soient encore perceptibles. Moment aussi où des dernières flambées … Continuer de lire Sébastien Roch, chef d’œuvre méconnu d’Octave Mirbeau

« Les Éclats » de Bret Easton Ellis : un certain moment de l’Empire

Presque quarante ans plus tard, Bret Easton Ellis revient sur cet automne 1981 dans un roman-fleuve, Les Éclats. Autant Moins que zéro était effilé comme une lame, autant Les Éclats se déploie avec une ampleur proustienne, tour à tour scintillante et sombre, et se situe au-delà même de la simple nostalgie pour devenir un livre qui, comme tous les grands livres finalement, est un défi désespéré au Temps. Continuer de lire « Les Éclats » de Bret Easton Ellis : un certain moment de l’Empire

Dominique Barbéris, « Une façon d’aimer » ou l’enchantement d’un rêve évanoui

Depuis Marguerite Duras, on aime les personnages qui tremblent et les histoires d’autant plus envoûtantes qu’elle sont incertaines.

C’est dans cette lignée que se situe le dernier roman de Dominique Barbéris, dont les événements se passent il y a plus d’un demi-siècle, non en Inde ni en Extrême-Orient, mais en Afrique, à Douala, sous un régime colonial que les indépendantistes commencent à contester. Continuer de lire Dominique Barbéris, « Une façon d’aimer » ou l’enchantement d’un rêve évanoui

Le Voyage de Hollande d’Aragon : Un monument poétique sorti de l’oubli

Traversé par les thèmes à la fois lumineux et douloureux associés à l’œuvre connue – l’amour d’Elsa, la difficulté à sauver ce sentiment du temps, de la perte, du mystère insondable de l’autre – Le Voyage de Hollande fait ressentir l’essence même de l’art poétique d’Aragon, son point d’aboutissement, son expression lyrique et technique la plus maîtrisée, la plus haute. Continuer de lire Le Voyage de Hollande d’Aragon : Un monument poétique sorti de l’oubli

Une vie avec Mauriac

Dès qu’un homme politique prend la plume pour quoi que ce soit d’autre qu’un ouvrage programmatique avant une élection, la plus vive méfiance est de rigueur. Qu’un ministre en exercice, comme on l’a vu tout récemment, commette un roman érotique, le mépris de la fonction ministérielle s’ajoute à la faute de goût des pages impudiques. Et, comme plus souvent, qu’un politicien publie une biographie, bien souvent le sujet aura été choisi pour immodestement suggérer une certaine proximité de destin. Continuer de lire Une vie avec Mauriac

L’ambre de la mémoire : Constantin Cavafis

L’audace de la poésie de Cavafis ne tient pas toute dans la vision, aussi nette que délicate, des désirs et des corps ; elle parvient au plus profond scandale de toute grande poésie, et au décentrement que cette dernière impose toujours aux hiérarchies qui prétendent déterminer l’essentiel de l’accessoire, le passager et le durable, l’éphémère et l’éternel. Continuer de lire L’ambre de la mémoire : Constantin Cavafis

Bruno Le Maire « excité comme jamais » : mauvais procès pour un mauvais auteur

On pourrait presque se réjouir que, brutalement, la France entière se cabre et s’indigne à propos d’un roman, du geste d’écrire, des registres de langue et de style littéraire. Le mérite en revient à notre ministre de l’économie, le grisâtre Bruno Le Maire. Son dernier livre, Fugue américaine — que nous n’avons pas lu — contient une page érotique d’une exceptionnelle nullité. De quoi déchaîner les passions, et finalement faire fleurir des commentaires tout aussi médiocres que le style ministériel. Continuer de lire Bruno Le Maire « excité comme jamais » : mauvais procès pour un mauvais auteur

Édition, censure et logique de marché : Le cas exemplaire de Roald Dahl  

Après la mort de Roald Dahl, survenue en 1990, son éditeur Puffin, filiale de la célèbre maison d’édition Penguin Random House, a acquis l’intégralité des droits sur l’ensemble de son œuvre. Penguin a été rachetée à son tour par Netflix, géant états-unien de la communication basé à la Silicon Valley. On n’en finirait pas d’énumérer les possessions de Netflix : un monstre en comparaison duquel ceux de Dahl font piètre figure. Bref, l’œuvre de Dahl est devenue une marchandise et son nom une marque. Continuer de lire Édition, censure et logique de marché : Le cas exemplaire de Roald Dahl