BILLET – Alice Zeniter, ou la guerre des sexes en littérature

Pourquoi les autrices sont-elles moins reconnues que les auteurs ? Ce dimanche sur France Culture, la romancière Alice Zeniter pointait « la parade virile des écrivains » face à laquelle les femmes auraient du mal à « répliquer ».

Je connais peu le travail d’Alice Zeniter. J’ai commencé son roman L’art de perdre l’été dernier, j’ai apprécié la densité du texte et la maturité de la plume : cette trentenaire, me suis-je dit, raconte la guerre d’Algérie avec un tel luxe de détails humains qu’on croirait qu’elle a elle-même vécu chacune de ces multiples vies cabossées.

Zeniter, je l’avais vue quelques mois auparavant se ranger aux arguties selon lesquelles la poétesse américaine noire Amanda Gorman devait être traduite en Europe non par des hommes blancs, mais par des femmes noires : « Au moment où on publie une jeune poétesse qui s’inscrit dans le mouvement de dire “nos voix noires comptent”, est-ce que ce ne serait pas le moment d’envoyer comme signal : “en effet vos voix comptent, nous allons vous choisir, vous” ? C’est un système socio-économique qui manque de diversité, et ne pas y réfléchir, c’est faire un choix politique. »

Sans doute avait-elle toutefois conscience que ce discours était intenable, peut-être même comprenait-elle en réalité l’impossibilité d’assigner un auteur à sa couleur de peau et à son sexe, car elle concédait : « Tout le monde peut tout, dans la traduction », car « la traduction est une expérience d’arrachement de soi ». Ainsi, on fait mine de reprendre à son compte l’universel sur le ton de l’évidence, puis on le congédie dans la phrase d’après. Certes, tout le monde peut tout traduire, mais les hommes blancs ne peuvent pas traduire les femmes noires. Bref.

Ce matin, il y a ça. Les autrices seraient moins reconnues que les auteurs dans l’histoire littéraire.

Pourquoi ? Parce que « vient, avec l’idée du génie littéraire, toute une parade virile qui transforme l’écriture en exploit, et l’écrivain en voyageur maudit, possiblement alcoolique, détaché de toute contingence domestique évidemment. Donc c’est des figures comme Hemingway, c’est des figures comme Faulkner, comme Kerouac. Et toutes ces figures qui ont l’air d’être des monstres de génie arrachés au commun de la vie quotidienne, ben c’est très très dur pour les femmes de répliquer tous ces codes-là. »

L’époque est à la victimisation tous azimuts et spécialement pour les femmes, on le sait. Mais Proust, Gide, Cocteau, Wilde, Guibert… Une « parade virile » ? Sand, Woolf, Colette, Yourcenar, Duras, Ernaux… Des voix « silenciées » ? Et l’alcoolisme, une spécificité masculine ?

Avec Zeniter comme porte-parole comme avec d’autres, ce féminisme victimaire qui se prétend libérateur s’avère une machine à produire des contre-vérités historiques, des assignations identitaires et des clichés sexistes. Triste.

Maxime Cochard

Photo : FrimousseRoche, CC BY-SA 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0, via Wikimedia Commons