La colonisation de l’Algérie sous la plume de Mathieu Belezi

Mathieu Belezi

Depuis déjà deux décennies, Mathieu Belezi raconte l’Algérie. Sans craindre de prendre des risques, il se fait la voix des petits colons. En creux, il donne tout autant la parole aux colonisés. Son dernier opus, Attaquer la terre et le soleil (Le Tripode, prix littéraire du Monde 2022), se situe quelque part au mitan du dix-neuvième siècle, près de Bône, aujourd’hui Annaba.

Deux récits s’y alternent. L’un, écrit à la première personne du singulier, est celui d’une femme ayant quitté sa Bourgogne natale (l’auteur ne se risque pas à ce jeu de mot, mais serait-elle passée de Beaune à Bône ?), attirée par la promesse d’un lopin de terre à cultiver. Elle y entraîne mari, enfants, sœur et beau-frère. L’autre, écrit à la première personne du pluriel, est celui de fantassins venus mater sans aucune forme de scrupule ni de recul les populations indigènes. Là encore, la troisième voix, omniprésente quoique muette – l’auteur ne la laisse pas parler –, est celle des Arabes, redoutés par les colons, redoutés et massacrés par les soldats.
La mort est omniprésente ; celle des colons, succombant par familles entières au choléra, au paludisme, ou simplement à l’épuisant labeur du travail d’une terre si peu fertile ; celle des soldats « morts pour la France » ; celle des Arabes, massacrés en représailles par villages entiers.
Les deux récits partagent un style qui, à proprement parler, coupe le souffle. La ponctuation y est maltraitée, amenant le lecteur à caler sa respiration sur celle des narrateurs, lui faisant éprouver des émotions qu’il aurait préféré ne pas éprouver : l’épuisement, le désespoir, mais surtout la peur et son corollaire, la violence.
Belizi nous avait déjà servi une magnifique trilogie sur l’Algérie : C’était notre terre, (Albin Michel, 2008), Les vieux Fous (Flammarion, 2011), Un faux pas dans la vie d’Emma Picard (Flammarion, 2015). Avec Attaquer la terre et le soleil, il semble toucher au but, poser sur son édifice la pierre d’angle. À se demander comment il pourra aller plus loin ou plus haut.

Bruno Boniface