Corrida à Madrid

Tribune : Non Aymeric Caron, la corrida ne doit pas être interdite

Le philosophe Jean-Michel Galano revient sur le débat qui agite l’Assemblée nationale à propos de la proposition de loi du député LFI Aymeric Caron pour l’interdiction de la corrida.

À l’Assemblée Nationale, chaque groupe d’opposition dispose d’une « niche » lui permettant de mettre à l’ordre du jour, à intervalles trop espacés, une proposition de loi. Ce sont des occasions précieuses, à ne pas gâcher.

On ne peut dès lors qu’être perplexe de voir un groupe de la Nupes, LFI en l’occurrence, proposer une loi visant à interdire la corrida et, plus largement, « les courses de taureaux ».

Alors que dans l’actualité, les questions brûlantes s’accumulent, du prix de l’énergie à la réforme des retraites, de la montée du racisme aux menaces de guerre, la représentation nationale avait peut-être mieux à faire que de se livrer à des discussions byzantines dont le seul effet aura été de rallumer de vieilles divisions.

À moins que ce ne soit le but recherché ?

Car enfin, si l’on est sensible, et il faut l’être, à la question de la souffrance animale, on se doit de la poser dans son ensemble, et l’élargir à celle de la condition animale : les abattoirs, l’élevage en batterie, le saccage de la ressource dans les fonds marins, les atteintes irrémédiables à la biodiversité, qui concernent aussi les espèces végétales…

Or ce sont les logiques de marché, et non pas les prélèvements faits par les chasseurs, les pêcheurs et les promeneurs qui mettent en péril l’environnement. Ce sont les transnationales de l’élevage intensif, de la pêche industrielle, de l’alimentation standardisée. Et les véritables comportements de prédation, ce sont ceux de ces sociétés organisatrices de safaris  au Kenya et de séjours dans les chasses privées au Maroc où, moyennant un droit d’entrée exorbitant, on a le droit de tuer tous les animaux qu’on veut.

Oui, la corrida est une tradition culturelle, localisée, fascinante, qui met en jeu de façon subtile et tragique le rapport de l’être humain à l’animalité, au risque et à la mort. Il y a certainement davantage de barbarie sur certains terrains de foot que dans les arènes de Madrid ou de Séville.

Mais derrière la diversion que représente cette discussion totalement théorique, il est permis de voir se profiler un projet de normalisation culturelle.

Le projet de loi mettait en cause, au-delà de la corrida, « les courses de taureaux », donc, on peut le supposer, les « ferias » landaises. À partir de là, on peut mettre en cause tous les événements où des animaux sont donnés en spectacle : combats de coqs, dressage hippique, et pourquoi pas le cirque et le zoo ?

Ce que ce débat confirme, c’est la convergence entre une certaine écologie punitive, adversaire de la viande, de la chasse, des rassemblements festifs, et du libéralisme le plus austère. Il faudrait que nous soyons tous pareils, interchangeables, aseptisés, sans possibilité de communion ni même de partage. Il n’est pas étonnant que la pudibonderie fasse depuis quelques années un retour en force.

Et comme par hasard, ces prêcheurs de frugalité et de méfiance ne disent jamais le moindre mot contre ces fléaux que sont l’alcool et la drogue, dont ils réclament souvent la libéralisation. À croire que ce qu’ils veulent, c’est une société où l’on ne rit plus, où l’on ne s’aime plus, mais où l’on « plane ».

Nul n’est obligé d’aimer la corrida, comme l’ont aimée par exemple Montherlant, Bataille, Almodovar. La question est ailleurs : notre rapport à l’animal est divers, et il est partie prenante de la vie culturelle sur laquelle il est extrêmement dangereux que l’Etat impose une quelconque férule. L’Etat a pour responsabilité de garantir aux citoyens le droit de vivre ensemble. Pas forcément dans l’harmonie, mais en tout cas dans le pluralisme et en paix. Il a manifestement un peu de mal à s’acquitter de cette tâche actuellement. Raison de plus pour que les parlementaires qui se recommandent de la gauche utilisent leurs « niches » à bon escient.

Jean-Michel Galano