Après des recueils de nouvelles non traduits en français, Brandon Taylor, jeune écrivain trentenaire, offre aux lecteurs français son premier roman, Real Life.
Le point de vue narratif est celui de Wallace, alter ego de l’auteur, jeune homme noir et gay comme lui, et comme lui originaire de l’Alabama. Le cadre est une fin d’été et un week-end de rentrée universitaire dans le très huppé campus du Midwest américain, au bord d’un lac, où il est, comme l’était l’auteur, doctorant en biochimie.
Il est le seul Noir dans son groupe d’amis ; mais pas le seul gay, un autre étudiant formant avec un financier un parfait couple WASP. Même si ledit financier donne des coups de canif dans le contrat en traînant sur Grindr.

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Ainsi Taylor pose-t-il les bases du classique Campus Novel, avec en fond la question noire et la question gay ; James Baldwin, évoqué à juste titre sur la quatrième de couverture, n’est donc pas bien loin. À une différence près, et de taille : le racisme qu’il nous donne à observer est bien plus sournois que la haine brutale des milieux conservateurs dépeinte par son aîné. En effet, si l’on devine que les personnages de Real Life votent démocrate – et plutôt Sanders que Biden –, qu’ils sont inclusifs et LGBT friendly, tous lui rappellent d’une manière ou d’une autre qui il est et d’où il vient. Voire où il aurait peut-être dû rester. À commencer par sa directrice de thèse, qui sans chercher à connaître sa version des faits, donne foi aux accusations de misogynie d’une autre doctorante et l’invite, en toute bienveillance bien sûr, à se demander s’il tient vraiment à rester dans son laboratoire de recherche. Mais aussi le « financier-gay-en-couple-officiellement-monogame-mais-pas-tant-que-ça » qui le renvoie à son célibat, donc à son isolement, donc à une certaine incapacité à s’intégrer. Et pour finir par Miller, son amant blanc et jusqu’alors hétérosexuel (blanc, il l’est demeuré) qui ne sait pas recevoir le récit que lui livre Wallace de son enfance sudiste et miséreuse.
Dans ce premier roman très politique dont la sortie a été saluée par la critique, Taylor réserve à l’intersectionnalité le sort qu’elle mérite : si femmes blanches et les gays blancs sont en pointe sur leur combat féministe et LGBT, un doctorant Noir transfuge de classe ne rentre définitivement pas dans leur équation.
Brandon Taylor, Real Life, Éditions La Croisée, 304 pages 21.90€