« Et par le pouvoir d’un mot », destin d’un poème français par Xavier Donzelli

Il arrive qu’un poème échappe à son auteur. Quelques vers griffonnés sur une page de papier millimétré qui font brusquement corps avec les espoirs et les tragédie d’un siècle. Liberté de Paul Éluard appartient sans conteste à cette race de poèmes.  Récité tant de fois par cœur dans les écoles qu’on en oublie que ce texte, parmi les plus connus de la langue française, a une histoire.

C’est cette lacune que vient corriger avec brio Xavier Donzelli, secrétaire de rédaction de la revue Historia dans un livre qui oscille entre le roman historique et le récit.  Et par le pouvoir d’un mot (titre de l’ouvrage emprunté à la dernière strophe du poème dont il raconte l’histoire) s’ouvre en Février 1942, à Vézelay dans l’Yonne où Nusch et Paul Éluard ont fui la capitale pour une semi-clandestinité. C’est quelque temps plus tôt, à l’été 1941, que le poète, bouleversé par l’hospitalisation de Nusch dont la santé est fragile, s’est attelé à l’écriture de Liberté.

« D’une facture assez simple, il obéissait à un procédé itératif et anaphorique. Il était né ainsi, dans ses premiers vers. Des strophes jaillissaient au matin :

Sur la santé revenue

Sur le risque disparu

Sur le moulin des ombres

Sur chaque bouffée d’aurore

Il n’avait qu’à dérouler le fil, tout semblait facile. Mais bientôt l’inspiration se déroba. Les matins se firent muets. »

On le sait, dans son poème, Éluard écrit tout à la fois son amour de la liberté et celui de Nusch, sa femme. Le livre de Donzelli montre en filigrane le rôle et l’importance de sa muse pour Éluard dans une période où le poète, par son opposition viscérale au nazisme et à la France de la collaboration, risque tous les jours sa vie. Dans la nécessité de combattre l’occupant hitlérien, le poème d’amour se transforme, en gardant la même structure, en une ode à la liberté. Le long texte achevé (il fait vingt-et-un quatrains et tient sur cinq pages), on suit les pérégrinations du poème, véritable personnage principal du roman. À Alger  par l’entremise de Max-Pol Fouchet, à Londres dans une revue politique et militaire, dans le ciel français grâce à de courageux aviateurs de la Royal Air Force et même à la BBC mis en musique par Francis Poulenc. 

Dans ce livre dont les chapitres assez brefs rendent la lecture fluide, Xavier Donzelli fait le pari d’exposer aux lecteurs les sources primaires de cette histoire : une correspondance d’Éluard à Francis Poulenc, des lettres de Pierre Seghers et de Louis Parrot, ou encore un tract de la résistance. C’est d’ailleurs toute l’intelligentsia des années quarante qui revit dans ce récit. En plus des proches d’Éluard, on y croise la photographe Lee Miller et son mari Roland Penrose, le prix Nobel Romain Rolland, le philosophe Raymond Aron et évidemment Aragon et Picasso. Chacun y tient sa place. Ce qui aurait pu n’être qu’une accumulation de noms et de dates se révèle être un livre remarquablement construit.

Avec ce premier roman, Xavier Donzelli signe une enquête minutieuse et exigeante sur un monument de la poésie française qui éclaire tout à la fois une période sombre de l’histoire de France et le processus de création d’un génie littéraire. 

Victor Laby

Xavier Donzelli, Et par le pouvoir d’un mot. Éditions Seghers. 20€. En librairie le 5 janvier

Paul Éluard & Fernand Léger, Liberté j’écris ton nom. Éditions Seghers. 38€.