Le parfum est un drôle d’objet. Ce qui fait le sillage entêtant des passantes de Baudelaire est à la fois un art, une science, un luxe et une industrie, à la croisée de la chimie pure, du fric et de l’évanescence poétique. Le parfum est emprisonné dans le sublime cristal ou injecté dans n’importe quel gel douche. C’est une alchimie qu’on a dit très française, devenue un secteur qui, pour les grands groupes, a tout de la poule aux œufs d’or. Pour qui voudrait se repérer dans ce monde secret et complexe, voici une petite bibliothèque critique des livres récemment consacrés au sujet.
Les cent onze parfums qu’il faut sentir avant de mourir, Yohan Cervi, Jeanne Doré, Alexis Toublanc, Nez culture, 2019

Cet excellent livre est une parfaite introduction pour qui veut s’intéresser au monde de la parfumerie. On y découvre que sentir un parfum, même une odeur archi-connue qu’on trouve dans tous les Séphora et sur bon nombre de passants, est un exercice beaucoup plus riche qu’on ne croit. Chaque grande composition se lit comme un texte, avec ses notes de tête, de cœur et de fond. La fragrance, qui surgit du flacon et nous semble d’abord faite d’un seul bloc, a en fait une histoire, un déroulement ; elle se complexifie en fonction de la peau sur laquelle elle atterrit, de la température et du temps qui passe. Comme un livre ou un film, un parfum peut donc faire l’objet d’une critique féconde et argumentée. C’est tout l’objet de ce livre qui se révèle pédagogique, accrocheur et stimulant : une série de critiques de parfums célèbres ou méconnus.
100 questions sur le parfum, Béatrice Boisserie, La Boétie, 2014

Voici une sorte de Que-sais-je ?, parfaite entrée en matière pour découvrir la parfumerie dans tous ses domaines. Le ton y est allègre et le fond instructif.
Parfums, le guide, Luca Turin, Hermé, 1992

Ce livre est ancien, et donc daté. Les parfums dont il proposait la critique (en quoi Luca Turin était précurseur) ont pour une part disparu, ou sont devenus secondaires. C’est aussi l’un des intérêts de ce petit bouquin plus guère édité ni vendu (mais trouvable sur les sites d’occasion) : s’attarder sur des créations oubliées ou suscitant aujourd’hui l’indifférence, comme la charmante Eau de Guerlain (1974). L’auteur propose, pour évoquer ses coups de cœur parfumés, la curieuse métaphore des « anges » (peut-être un brin cucul). Son introduction est toutefois un miracle d’esprit de synthèse, quelques pages qui condensent l’essentiel dont voici un court extrait (!) : « Ce guide encourage les hommes à porter des parfums de femme judicieusement choisis et les femmes à explorer encore plus qu’elles ne l’ont fait jusqu’ici la gamme des eaux de toilette masculines. L’effarante banalité et le manque d’humour de certains parfums “virils” contraint les hommes à chercher plus loin, mais permet des contre-emplois qui ne manquent pas d’intérêt. […] N’achetez jamais un parfum sans l’avoir porté au moins une heure, et essayez-le sur la peau et sur une mouillette de papier buvard. »
Journal d’un parfumeur, Jean-Claude Ellena, Le livre de poche, 2012

Jean-Claude Ellena, ancien parfumeur en chef de la maison Hermès, est une sommité du milieu, souvent présenté comme le pape de la parfumerie française actuelle. Compositeur de parfums à succès comme Terre d’Hermès (un boisé ultra-viril), il aime prendre la plume. Ce lecteur de Giono multiplie les écrits, les souvenirs et les citations, se raconte et met en scène sa proximité avec Edmond Roudnitska, créateur mythique de l’Eau sauvage de Dior, considéré à bien des égards comme le plus grand parfumeur du XXe siècle (c’est oublier un peu vite Jean-Paul Guerlain !).
Les parfumeurs, Christian Dumais-Lvowski, Harper Collins, 2018

Ici, nous avons affaire à dix autoportraits brefs et de style oral de parfumeurs contemporains. Et le résultat est très réussi. Pour l’entrée en matière, voici Quentin Bisch de Givaudan, adorable et abordable. On se passionne aussi avec Isabelle Doyen de Annick Goutal, et puis le fameux Serge Lutens. On retrouve Olivier Polge (Chanel), excellent compositeur mais dont le propos est moins frappant, tout comme Thierry Wasser (Guerlain). S’ajoutent les inévitables Jean-Claude Ellena et Mathilde Laurent (Cartier). Enfin un François Demachy (ex-Dior) transparent mais une Annick Menardo (Firmenich) sympathique. L’ensemble se laisse déguster sans trop d’effort.
Pot-pourri, Maïté Turonnet, Nez littérature, 2022

La journaliste Maïté Turonnet a tenu dans Libération une chronique consacrée au parfum : sorties des nouveautés bien marketées de l’industrie, souvenirs d’enfance, anecdotes historiques, rencontres de figures du milieu, critique de l’évolution du secteur… Ce livre rassemble ses papiers. L’ensemble est drôle, intéressant et bien écrit. On y sourit, on y apprend des choses, et l’auteur a un vrai talent du plume.
Le parfum des origines à nos jours, Annick Le Guérer, Odile Jacob, 2005

Ce livre peut être considéré comme « le » manuel sérieux, universitaire, sur le sujet. On ne peut d’ailleurs l’acquérir qu’en acquittant la lourde somme de 30,90 euros ! Toute la première partie du livre est consacrée à l’Antiquité et au Moyen-Âge, où l’art du parfum, reconnaissons-le, n’a qu’un très lointain rapport avec ce qu’il est devenu aujourd’hui, et tient davantage du cataplasme d’épices. Puis vient l’invention de l’eau de Cologne, l’apparition des Maîtres parfumeurs et gantiers. La création de la maison Guerlain, en 1828 à Paris, marque un jalon décisif sur une route qui conduira, grâce aux progrès de la chimie olfactive, à l’explosion créative du XXe siècle. Plus récemment, c’est le marketing qui triomphe et, avec lui, la marchandisation intégrale du secteur. Car n’oublions jamais que dans nos parfums souvent vendus plus de 100 euros, le jus, le flacon et le cartonnage ne coûtent à la marque qu’une poignée d’euros !
Le roman des Guerlain, Elisabeth de Feydeau, Flammarion, 2017

Guerlain est la plus grande maison de parfumerie de l’histoire. On a pourtant ici un livre très plat. À croire qu’il n’y a rien d’intéressant à dire sur cette famille, ce qui serait bien le comble ! On s’en tient à une juxtaposition de fiches techniques et d’hagiographies sans relief : les femmes sont élégantes, les parfumeurs inventifs, les enfants espiègles et les vieux fort sages. Lors des mariages on se réjouit et lors des morts on est très tristes. Les créations de la maison sentent drôlement bon. Certes, mais c’est un peu court, non ?
La fabuleuse histoire de l’Eau de Cologne, sous la direction de Jean-Claude Ellena, Nez culture, 2019

Nous avons tous un flacon d’eau de Cologne perché sur quelque étagère. C’est le plus souvent une senteur pleine d’agrumes, légère et estivale. Ce livre très bien fait aux éditions Nez nous plonge dans cette fraîcheur hespéridée que toutes les marques accommodent à leur sauce : bergamote, citron, lavande… C’est en le lisant que j’ai appris — à trente-huit ans — que le mot exact pour décrire la plante herbacée des recettes de cuisine était cardamome et non cardamone.
Le n°5 de Chanel, biographie non autorisée, Marie-Dominique Lelièvre, J’ai lu, 2021

L’idée n’est pas mauvaise : faire la bio d’un parfum, et plus précisément du plus mythique de tous, le grandiose n°5. Mais le résultat s’avère légèrement décevant : piètre prose, avec formules maladroites et anglicismes, narration très journalistique, assemblage de fiches un peu décousu. La fin, très critique de ce qu’est devenu Chanel (essentiellement une machine à cash, selon l’auteur), rehausse l’intérêt du texte. Enfin un peu de sincérité.
Parfums. Une histoire intime, Denyse Beaulieu, Presses de la cité, 2013

Denyse Beaulieu est une journaliste québécoise passionnée par le parfum, au point de s’installer en France pour se consacrer pleinement à cet engouement. Son texte se veut enlevé, récit d’une trajectoire personnelle et cultivée parmi les acteurs du secteur, enrichie des sensations intimes de l’auteur. Il est parfois juste, souvent intéressant, mais peut-être trop bavard.
Parfums de légende, Un siècle de créations françaises, Michael Edwards, HM Éditions, 1998

Ce beau livre est « dédié à tous les amoureux du parfum ». Il est traduit par Guy Robert, parfumeur reconnu. Michael Edwards retrace l’histoire des grandes créations françaises, de Jicky de Guerlain (1889) à Angel de Thierry Mugler (1992), de façon érudite et très complète : la genèse de ces parfums mythiques, leur créateur, leur flacon, leur pyramide olfactive…
Petit lexique des amateurs épris d’odeurs et de parfums, Jean-Claude Ellena et Lionel Paillès, Actes Sud, 2021

Voici un abécédaire à la fois poétique, souriant et rigoureux sur l’univers qui nous occupe. À la plume du cardinal Ellena se joint celle, pétillante, du journaliste Lionel Paillès, qui se présente dans l’introduction comme « un observateur critique » de la parfumerie. Leur alliance donne un fort joli livre. Dommage qu’il soit si cher (27 euros) !
Une histoire de parfums : 1880-2020, Yohan Cervi, Nez éditions, 2022

S’agissant du parfum, Yohan Cervi est LA plume qu’il faut suivre aujourd’hui. Ce spécialiste prolixe et collectionneur met son style alerte au service d’une passion communicative pour la parfumerie dans toutes ses dimensions : jus, flacons, histoire, enjeux économiques… Son livre, qui assemble plusieurs dossiers de la belle revue « Nez », est un excellent synopsis historique, captivant et joliment troussé.
Maxime Cochard