Pierre Dharréville : «Un État sans préoccupation démocratique peut alimenter d’excellentes catastrophes…»

Commune interroge intellectuels, créateurs et acteurs de la vie publique sur leur vision de l’État. Cette notion est-elle toujours pertinente ?
Voici la contribution du député PCF Pierre Dharréville, vice-président de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée Nationale
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Les morsures du capitalisme sont toujours plus puissantes. Ses appétits dévorants et insensés sont en train d’affecter gravement l’humanité et la planète.

Depuis plus de quarante ans, une offensive néolibérale sans cesse renouvelée et approfondie a affaibli la puissance publique, l’Etat, et au fond, la démocratie. Les forces de l’argent ont repris la main en installant son credo : « There is no alternative ». Sans cesse bousculé par le catalyseur des institutions et des politiques européennes, l’Etat s’en est trouvé transformé, adoptant la logique libérale, promouvant lui-même le modèle de la concurrence à tout crin et créant les conditions de son propre affaiblissement, conduisant à la mise à mal de l’intérêt général.

L’impuissance publique a été décidée et organisée par la casse des entreprises publiques, des services publics et de la fonction publique. Nous en subissons les effets dans tous les domaines et à chaque projet de loi, il est question de s’en remettre encore un peu plus au marché. C’est le cas en matière énergétique, de formation professionnelle, de santé… jusque dans le coeur des missions stratégiques de l’Etat où l’on a installé des cabinets de conseil à gogo. La non-réponse aux besoins et le creusement des inégalités font le lit d’une crise de sens dévastatrice qui se manifeste inévitablement dans le travail des agentes et des agents et les difficultés de recrutement émergentes. En somme, si l’on veut schématiser, puisque la raison d’être même de l’Etat a été mise en cause et qu’il n’est plus en capacité de faire la démonstration de son efficacité, nous sommes en face d’un gouffre vertigineux. Une coupure s’est opérée entre l’Etat et les citoyens qui font face à des services publics qui se dégradent, voire s’invisibilisent, leur apportant de moins en moins de réponses, qui leur semblent étrangers, alors qu’ils devraient les considérer comme leurs. Ils se heurtent à « l’Administration ». Une administration trop souvent gestionnaire et bureaucratique, n’ayant que trop peu les moyens d’être soucieuse de service, d’accompagnement, de démocratie et des citoyens. Une puissance publique prise dans les filets de la technocratie néolibérale qui fait chaque jour la démonstration que rien n’est possible hormis de continuer dans la même direction. Et pourtant… ! La pandémie a rappelé le rôle majeur que doit jouer un Etat, en même temps que son affaiblissement (voir la situation de l’hôpital, par exemple) et ses errances (voir les impasses de la santé publique, par exemple).

Car il ne faudrait pas pour autant laisser à penser qu’il y eut un âge d’or et que l’Etat soit, dans l’absolu, toujours et en tous lieux, exempt de tous reproches. Nous devons discuter la fonction de l’Etat, sa forme, sa place… Un État sans démocratie et sans préoccupation démocratique peut alimenter d’excellentes catastrophes…

Face à la privatisation et à la marchandisation de tout, qui conduit à déshumaniser nos sociétés, il est urgent d’enclencher de nouvelles dynamiques, pour une reconquête de la puissance publique conçue comme une puissance commune, centrée sur la recherche de l’intérêt général et la garantie de droits fondamentaux. Il s’agit de retrouver du pouvoir sur le quotidien et sur le cours des choses. Cela commence par la fin de la perpétuelle cure d’austérité imposée à la fonction publique, mais il convient de procéder à la construction réfléchie d’un nouvel élan pour lui redonner sens. Cela ne sera pas sans la définition d’une ambition de notre temps. Face à la dématérialisation massive et à la numérisation des rapports de production et des rapports sociaux, nous avons besoin en même temps d’un état présent et d’une puissance publique numérique. Face à la dictature du temps court, nous avons un Etat stratège : cette nécessité apparaît clairement dans bien des domaines, que ce soit celui de la transition énergétique, de la santé, ou de l’industrie. Il ne saurait s’agir d’un Etat vertical, en surplomb, qui imposerait des actions, mais bien d’un outil vivant, instrument des citoyens, capable de répondre à leurs aspirations et de construire avec eux des solutions.

L’une des pistes à creuser se situe autour de la protection et de la promotion des bien sur communs. Face à l’individualisation des rapports sociaux décuplée par les logiques néolibérales, nous devons construire du commun. Il y a urgence à réaffirmer que certaines choses essentielles ne peuvent être laissées aux mains du marché si on veut en garantir le caractère commun. Les biens communs peuvent être protégés, gérés, inventés sous différentes formes et l’Etat doit intégrer cet enjeu et cette variété de formes dans sa vision de la société. La protection, la promotion, la gestion de ces biens peut être un puissant vecteur de démocratisation, de justice, d’appropriation collective et sociale.

Qu’entend on par « communs » ou par « biens communs » ? La réponse à cette question, débattue par des philosophes et des praticiens doit aussi se faire dans la vie. Mais nous voyons biens que ces biens communs peuvent être de nature très différente, depuis la planète ou même l’espace, jusqu’à la maison de quartier, en passant par des ressources naturelles, outils de production répondant à des besoins fondamentaux, ou des inventions sociales ou scientifiques qui méritent d’être partagées. L’Etat traditionnel lui-même peut être bousculé par ces interrogations, il peut aussi en être renouvelé. Démocratiser nos institutions est un enjeu fondamental et inséparable de l’exigence de leur redonner de la force.

Pierre Dharréville, député communiste des Bouches-du-Rhône