macro shot of a mosquito on a green leaf

Connaissez-vous « Moustiques », de Faulkner ?

Deuxième roman publié de Faulkner, « Mosquitoes » (1927) est à beaucoup d’égards une œuvre de jeunesse voire de circonstance, encombrée de considérations autobiographiques sur la vie universitaire et de charges contre les milieux littéraires de l’époque. La technique narrative elle aussi reste hésitante, et si les fils enchères des différentes interactions ne sont pas suivis jusqu’au bout, c’est peut-être par désinvolture ou lassitude de l’auteur plutôt que selon une intention rigoureusement pensée. Mais qu’importe, au fond ?

Le jugement de Monique Nathan, selon qui ce roman est « le plus faible » de Faulkner paraît d’une sévérité excessive. Bien sûr, si l’on juge Moustiques à l’aune des grands romans qui vont suivre comme, trois ans après, Le Bruit et la fureur, on est tenté de considérer ce roman comme un fourre-tout ennuyeux et mineur. Il en va tout autrement si on le considère « en lui-même ».

L’intrigue – Unité de lieu, un yacht. Unité de temps, les quelques jours d’une croisière. Unité d’action, la croisière est ratée, au moins pour deux raisons : l’ensablement du yacht dû à la sottise restée insoupçonnée de l’un des invités, et plus encore en raison des incompatibilités d’humeur et de caractère qui ne tardent pas à se manifester. Entre mécènes, vrais et faix artistes, vieux et jeunes, rien ne va comme prévu, et le mythe d’une croisière littéraire fait place à la vérité d’un huis-clos où les masques tombent.

Le seul héros positif est certainement le steward David qui, après la folle journée passée avec Pat, « la nièce », dans une nature inviolée « plus vieille que le temps lui-même », s’empresse de partir chercher une meilleure place.

Les autres personnages, Mrs Maurier à part, sont loin d’être des caricatures. Il y a le lamentable Talliafero, veuf balourd en quête de femme, l’omniprésent et grossier Fairchild, son ami Julius dit « le sémite », qui serait le sage de la bande s’il n’accompagnait pas le précédent dans son alcoolisme ; il y a Eva Wiseman, sa sœur, lesbienne et plein d’humour, l’insupportable Anglais de service, le major Ayers, intarissable sur les mérites de son laxatif de table, les deux jumeaux vaguement incestueux Josh et Pat, Gordon le sculpteur arrogant et irascible. Et surtout Jenny, belle et écervelée, embarquée là avec son petit ami Pete un peu par accident.

Queneau, qui a écrit une belle et pénétrante préface à l’édition française du roman, y a manifestement pris beaucoup d’éléments pour Sally Mara, On est toujours trop bon avec les femmes, voire pour Zazie… La drôlerie avec laquelle Faulkner se met lui-même incidemment en scène est à relever.

Mais au-delà de la satire et de l’aspect « coup d’essai », au-delà de certaines discussions sur l’art dont toutes ne sont pas intéressantes, loin de là, la puissance du roman vient de la confrontation juste esquissée entre la futilité bourgeoise et la massivité muette des forces de la nature et du temps.

Jean-Michel Galano