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Comment lire « Le Capital » de Marx ?

Comment lire Le Capital de Marx ? Par Michael Heinrich (éditions Smolny)

Beaucoup de militants, et parmi eux souvent les plus jeunes, ont exprimé ces derniers temps leur intérêt pour les « fondamentaux » du marxisme. De fait, il serait illusoire et même dangereux de prétendre dépasser ou compléter Marx sans être au préalable passé par lui. La « pensée Marx » est, comme l’a fort bien dit Paul Boccara, une « matrice » et non un corps de doctrine figé : raison de plus pour étudier de près ce qui en fait la force et la fécondité.

Michael Heinrich, peu connu en France, est notamment l’auteur d’une belle biographie de Marx (Karl Marx et la naissance de la société moderne) ainsi que de plusieurs études consacrées à la genèse du Capital. Dans Comment lire le capital ?, il propose une explication ligne à ligne des points les plus saillants et les plus problématiques contenus dans les trois premiers chapitres du livre I du Capital.  Explication patiente et détaillée, parfois un peu traînante, et qui relève le plus souvent de la paraphrase. Mais explication efficace, d’une grande probité, et qui s’attache à ne rien laisser dans l’ombre.

Heinrich a le grand mérite de faire connaître, pour les discuter, les objections qui ont été portées à l’analyse marxienne de la valeur, qu’il s’agisse de celles qui viennent spontanément au  lecteur non prévenu, ou à celles, plus élaborées en apparence, qu’ont formulées les économistes libéraux et notamment les marginalistes. Cela donne beaucoup de vie à ces parties du texte où l’auteur dépasse momentanément la simple paraphrase, sans céder à la tentation des polémiques faciles contre les « robinsonnades » de ceux pour qui le marché serait une création des marchands et non l’inverse.

On peut regretter, outre certaines lenteurs et lourdeurs, une maîtrise insuffisante par l’auteur du catégoriel philosophique mis en œuvre par Marx : si Heinrich donne, avec raison, toute leur portée aux images et aux métaphores qui émaillent le texte de Marx en des lieux stratégiques, il ne consent pas le même effort de rigueur quand il s’agirait d’analyser les catégories de « forme », de « base », d’ « expression », de « phénomène ». Le retravail opéré par Marx sur les catégories héritées de la « ci-devant philosophie » et notamment de Hegel aurait mérité un meilleur sort.

Tel qu’il est, ce livre constitue tout de même l’une des meilleurs introductions et invitations à la lecture de Marx, qu’il facilite vraiment.  Certains lui préféreront, c’est affaire de goût et de tempérament, le petit livre de Paul Boccara, Le Capital de Marx, son apport, son dépassement, éclatant exemple de la fécondité de la matrice marxienne pour expliquer une crise systémique prophétisée par Marx en son temps et bien réelle de nos jours. Sans doute les deux se complètent. Ni l’un ni l’autre toutefois ne sauraient se substituer à la lecture directe et sans filtre de l’œuvre de Marx.

Jean-Michel Galano