Si l’éclatant succès de l’exposition consacrée à William Morris au musée de la Piscine de Roubaix l’année dernière a permis, dans une certaine mesure, de faire connaître en France l’artiste britannique, il reste malgré tout largement méconnu de notre côté de la Manche.
Morris est né en mars 1834, à Walthamstow, une petite bourgade de l’Essex dans les environs de Londres. Il appartenait à une famille de la bourgeoisie comme on en trouve au Pays de Galles. Rien, à priori, ne le prédestinait à devenir un artiste reconnu. Les témoins de sa jeunesse dresse le tableau d’un élève moyen et sans ambition qui passait son temps à lire. En 1847, le père du jeune homme décède brutalement, lui laissant une petite fortune. Avide de connaissance, Morris part étudier à Marlborough puis à Oxford. Là, il se lie d’amitié avec le peintre Edward Burne-Jones qui lui fait découvrir et rencontrer les peintres préraphaélites. À vingt-ans, il se lance dans l’écriture de petits poèmes qui rencontrent un succès d’estime.
Poussé par les encouragements de ses camarades de classe, il décide de quitter Oxford et de se consacrer à l’art. Voulant réunir art et artisanat, William Morris choisit de se faire architecte. Incapable de se limiter à une seule activité, Morris décide, sous le conseil de peintre Rossetti, de s’exercer lui aussi à la peinture. Il se montre tellement doué dans ce domaine qu’il décide d’abandonner son métier d’architecte pour se consacrer exclusivement à son art. Ses œuvres s’inspirent des merveilleuses histoires de la Table ronde et de le quête du Graal mené par les chevaliers d’Arthur. Très vite cependant, il abandonne les tableaux pour se consacrer à la conception de motifs décoratifs (c’est ce pour quoi il reste le plus célèbre aujourd’hui). Son but, dans ce domaine, était de faire rentrer l’Art dans les foyers de tous les britanniques, y compris les plus modestes.

Rapidement, il comprend que l’idéal de beauté qui anime sa création est inséparable d’une lutte contre le capitalisme anglais alors en pleine expansion. Dès 1877, William Morris s’engage dans les grands combats socialistes et internationalistes de son temps. Dans tous les discours où il harangue les travailleurs, il n’oublie pas d’expliquer que le droit au beau et à l’art doit être une des pierres angulaires du combat contre le capitalisme. Dans l’un de ses meetings, il s’écrit :
Il est très important pour les ouvriers de noter comment le capitalisme les a privé d’art. Car ce mot signifie réellement le plaisir de la vie, rien de moins. Je les conjure de ne pas considérer comme une chose d’importance légère, mais comme un mal des plus graves, le fait que leur travail est dénué d’attrait et leurs foyers dénués de beauté. Et je les assure que ce mal n’est pas un accident, n’est pas un résultat de l’insouciance et des tracas de la vie moderne, qu’un homme de la bourgeoisie un peu bien pensant pourrait corriger. Ce n’est pas un mal accidentel, guérissable par des remèdes palliatifs et temporaires ; c’est la résultante de la sujétion du pauvre au riche, et en même temps, c’est le symbole le plus évident de cette sujétion. Une seule chose peut le guérir : l’aboutissement de cette lutte de classe qui est heureusement en progrès à l’heure qu’il est, et qui se terminera par l’abolition de toutes les classes !
L’engagement de William Morris ne se limita pas à sa conception de l’art. Il milite à là Social Democratic Federation et en devient l’un des dirigeants nationaux. En 1885 avec Friedrich Engels et Eleanor Marx, il fait scission et crée la Socialist League, un parti politique plus ouvert sur l’internationalisme et franchement marxiste. Il y reste jusqu’à ce qu’il meurt en octobre 1896, usé d’avoir trop voulu débarrasser le monde de la laideur.
Il ne suffisait pas à William Morris d’être un plasticien génial et un important leader socialiste ; il est aussi l’un des plus grands écrivains de littérature fantastique de son temps. Morris a écrit une quinzaine de romans fantastiques directement inspirés de la légende arthurienne et des écrits de Walter Scott.
Par la cohérence de ses mondes inventés (en particulier dans son roman le plus fameux, La Source du bout du monde) et la présence de personnages stéréotypés issus du folklore européen et de la mythologie celtique, William Morris a directement inspiré l’écriture du Seigneur des anneaux de J.R.R Tolkien et des Chroniques de Narnia de C.S Lewis.
Saluons ici l’initiative d’une maison d’édition française, Aux Forges de Vulcain, qui s’est donné pour mission de traduire et de présenter, avec le concours d’universitaires, la littérature de William Morris au public francophone. Alors que dans le monde anglo-saxons, Morris est lu et considéré comme le père de la fantasy, certains de ses textes n’étaient toujours pas accessibles aux lecteurs français près de 150 ans après leur écriture !
La dernière publication proposée par les Forges de Vulcain, Un Rêve de John Ball raconte – dans un style merveilleux qui évoque tout à la fois les nouvelles fantastiques de Georges Sand et certains romans historiques d’Alexandre Dumas – une rencontre imaginaire entre un militant socialiste du XIXe siècle et John Ball, prêtre et héros de la grande révolte des paysans anglais du XIVe siècle.
Le Moyen-Âge, le fantastique et le socialisme, autant de thèmes qui ont obsédés William Morris tout au long de sa vie.
Terminons cet article en laissant la parole au grand homme qui écrivait dans l’un de ses pamphlets qu’il fallait toujours se battre pour une vie dont l’on sentira que ceux qui la mènent ne peuvent se passer davantage du spectacle de la beauté et de sa création que de leur pain quotidien ; ni que personne, ni qu’aucun groupe d’hommes, ne puisse s’en voir interdire l’accès si ce n’est sous l’effet d’une obstruction patente, à laquelle ne doit répondre qu’une résistance farouche.
Victor Laby
William Morris, Un Rêve de John Ball, Éditions Aux forges de Vulcain. 101 pages. 15€