Le parti des communistes, Julian Mischi 

Dans son histoire du PCF parue en 2020 à l’occasion du centenaire, Julian Mischi produit un texte analytique, synthétique, relevant autant de la sociologie des organisations que de l’histoire.

Aux origines du parti se trouvent en fait des courants anarcho-syndicalistes, syndicalistes-révolutionnaires, libertaires, issus de la « minorité de guerre » de la SFIO et de la CGT. Le parti présente en 1924 aux élections législatives à Paris Abdelkader Hadj-Ali, quincailler algérien de quarante et un ans, naturalisé français, il manque une vingtaine de voix pour qu’il devienne député. Ho Chi Minh est candidat communiste aux élections municipales de 1925 à Paris.

mischi___cover__vii_Avant la bolchévisation, les ouvriers sont très minoritaires dans l’appareil dirigeant, comme chez les bolcheviks : « Un parti d’enseignants et d’hommes de lettres ». La bolchevisation pousse également dans le sens de l’ouverture aux minorités « coloniales ». Un peu comme la stalinisation du PCUS, la bolchevisation (1924) finit par évincer ceux qui avaient créé le parti. 

Une constante de l’histoire du parti : « Les mobilisations critiques sont le plus souvent portées par des militants détenteurs de ressources singulières (électives, syndicales, scolaires, expériences dirigeantes passées, etc.), qui les rendent suspects aux yeux des dirigeants autant qu’elles autorisent chez eux une prise de distance par rapport aux orientations dominantes ». 

La « génération fondamentale » des communistes, arrivée en responsabilité avant le tournant du Front populaire, est constituée de militants ouvriers n’ayant pas pris part au Congrès de Tours, nés aux environs de 1900, et formés dans le cadre de la bolchevisation rigide et de la tactique sectaire « classe contre classe ». 

Mischi insiste de façon originale sur « l’extraction partielle » hors de la classe ouvrière que permet l’engagement communiste, souvent le fait d’individus scolairement brillants dont les études sont interrompues, et qui trouvent là matière à satisfaire leur soif de savoir et d’investissements intellectuels. 

Paradoxe apparent : « Au début des années 1930, la stalinisation introduit une revalorisation de la place des intellectuels ». La période du Front Populaire est elle aussi paradoxale : « ouverture républicaine et repli conservateur ». 

La description de la deuxième vague de stalinisation est sans concession : « Les appels répétés du PCF à la mobilisation des militants dans la dénonciation des complots titistes, fascistes ou américains (signature de pétitions, adoption de résolutions, campagnes de presse, mise à l’écart de celles et ceux qui doutent, etc.) contrastent avec l’annonce rapide, sans débat, qu’il s’agissait en fait d’une machination de Staline. De tels revirements inexpliqués nourrissent des doutes chez de nombreux intellectuels. » Ces doutes, lorsqu’ils sont exprimés, donnent lieu à de violentes exclusions, mais ensuite les critiques sont « digérées », « métabolisées » ; les intellectuels qui les proféraient sont brutalement mis à l’écart et les réformes khrouchtchéviennes sont appliquées, mais par les cadres ouvriers. 

Autre notation intéressante : dans les années 1960, l’élargissement aux ingénieurs, techniciens, cadres, donne lieu au remplacement du vocable de « classe ouvrière » par celui de « travailleurs ». « Travailleurs » n’est donc pas un reliquat gauchiste mais au contraire une marque d’ouverture à droite !

Il y a ensuite plusieurs séquences : 

  • Mai 68 et le développement du gauchisme qui retire au PCF son image de parti d’avant-garde et de seul « parti de la classe ouvrière ». 
  • L’ouverture des années 1970 à une alliance avec le PS refondé de Mitterrand, phase de croissance avec un recrutement « couches moyennes » (enseignants) qui réduit la matrice ouvrière. 
  • Un « repli sectaire » fin des années 1970, avec retour de la mainmise des cadres ouvriers et du discours pro-URSS, puis l’entrée au gouvernement, puis l’éclatement de la contestation interne… 

Au total, Mischi décrit un PCF alternant entre phases d’ouvertures et raidissement conservateurs, entre prévalence des cadres ouvriers et ouverture aux couches intellectuelles.

Il montre aussi que le parti dans sa « génération fondamentale » a toujours représenté « le haut de la hiérarchie usinière », les « ouvriers qualifiés de la métallurgie », peinant à représenter les subalternes (immigrés, précaires) ou les catégories intellectuels (profs, tour à tour attirés puis repoussés) et les « nouvelles couches sociales » acquises à la social-démocratie et actrices de la montée en puissance du PS. Il en est de même, aujourd’hui, du salariat subalterne. 

Je retiens de cet épaisse analyse sociologique le rôle puissant de la désagrégation du groupe ouvrier dans le déclin du PCF, cette réalité sociologique rendant très difficile l’organisation politique des classes populaires aujourd’hui, et ce quelle que soit l’organisation (PCF, LFI, CGT…), quel que soit le pays. 

L’auteur dépeint un PCF dont le rôle historique tout au long de son existence à compter du Front populaire aura été de discipliner les velléités révolutionnaires des catégories ouvrières, de désamorcer leur radicalité pour œuvrer à la gouvernementalité et à une conquête du pouvoir qui se dérobera en réalité sans cesse.