Une synthèse du siècle soviétique loin de l’histoire pour les nuls

L’âge soviétique. Une traversée de l’Empire russe au monde postsoviétique, Alain Blum, Françoise Daucé, Marc Elie et Isabelle OhayonCe manuel d’histoire est l’œuvre de quatre universitaires spécialistes des mondes russes. Il s’appuie sur les résultats récents de la recherche après les ouvertures d’archives des toutes dernières années et sur une bibliographie imposante. Et le résultat de ce travail est intéressant à plus d’un titre.

Car avec cette synthèse, on s’éloigne des clichés et caricatures façon « l’histoire pour les nuls » qui tient lieu de ligne éditoriale à 90 % de la production littéraire sur l’URSS et la Russie, et qui en reste grosso modo à une description apocalyptique façon Soljenitsyne (les Russes ne peuvent être tenus que par un dictateur, l’URSS c’est la famine et les files d’attente, le communisme c’est 100 millions de mort, etc.).

Ici, l’ensemble des éléments abordés tend à brosser un portrait à la fois sans concession sur les drames soviétiques, la terreur stalinienne, les échecs et impuissances d’un régime qui n’a pas su sortir de son principe répressif, et à la fois systématiquement plus complexe et nuancé que la démonisation habituelle (du type Nicolas Werth). En abordant la rupture eltsinienne et l’autoritarisme poutinien, ce manuel a le mérite de montrer que l’alternative historique à l’URSS a produit un résultat économique catastrophique (Eltsine) et un résultat démocratique plus qu’insuffisant (Poutine). Voilà qui permet de saisir pourquoi une majorité des Russes regrette aujourd’hui l’URSS (ce que les auteurs ne mentionnent pas) et qui explique sans doute le décalage entre la perception occidentale caricaturale de la Russie et celle de l’opinion russe.

« Il semble que la ligne répressive qui s’impose en Russie, au Belarus, en Azerbaïdjan et en Asie centrale depuis vingt ans ait moins à voir avec les répressions soviétiques qu’avec un « nouvel esprit de l’autoritarisme ». Les élites nées des privatisations ne peuvent se maintenir au pouvoir par la voie dynastique ou mafieuse qu’en transformant l’appareil policier en garde prétorienne (opritchnina) et en accusant les mécontents de miner les « valeurs traditionnelles » et la « souveraineté nationale », seules idéologies disponibles ».