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Contre la psychologie du ressentiment

La Suisse est parfois très loin de la France et il a fallu pas mal de temps pour que le beau livre d’Alain Valterio, Névrose psy (Favre), fasse le trajet de Lausanne à Paris. Car il est très iconoclaste par rapport aux idées à la mode, et ceci explique cela.

L’auteur, qui a exercé plusieurs métiers y compris celui de chauffeur routier avant de devenir psychanalyste (d’obédience jungienne, ce qui en Suisse va plus ou moins de soi) dénonce avec force ce qu’il appelle la « culture thérapeutique ». Cette dernière a partie liée avec tout le mouvement qui vise à déconstruire les figures de l’adulte, de l’autorité et du surmoi.

De plus en plus d’éducateurs mais aussi de parents se sont laissé persuader qu’il ne faut à aucun prix frustrer l’enfant, que l’éducation peut se faire sans contrainte ni violence, qu’il faut toujours tout expliquer, tout raisonner et protéger à tout prix l’enfant contre les aléas de la vie. Psychologie à l’eau de rose, répond l’auteur qui crée à cet effet le néologisme de « psyrose ». En confortant l’enfant dans un sentiment de toute-puissance tout en le surchargeant de responsabilités, on en fait un être angoissé, sans limites, insupportable.

Un enfant a beaucoup moins de chances de rencontrer un pervers pédophile que d’être victime d’un accident domestique, d’un accident de la route, d’une maladie héréditaire, d’une addiction aux jeux vidéos ou encore d’obésité. S’il y a des enfants martyrs, il y a aussi des enfants maltraitants. La place d’un sale gosse est en internat. Les pères devraient plutôt se préoccuper d’être des références pour leurs enfants, notamment en réussissant leur vie sociale et professionnelle, plutôt que d’entrer avec la mère dans une concurrence ridicule et perdue d’avance.

On peut regretter un ton où la polémique l’emporte parfois sur l’argumentation. Il n’empêche que l’auteur remet, si l’on ose dire, l’église au centre du village : la victimisation excessive de l’enfant, qu’il appelle « pédolâtrie », a beaucoup à voir avec l’utopie puérile d’un monde sans heurts, sans conflits, où tout ne serait qu’amour et harmonie.

Valterio retrouve l’inspiration pédagogique de cet autre citoyen suisse qu’était Jean-Jacques Rousseau, qui dans l’Emile montre que jamais  l’être humain ne peut faire l’économie de l’expérience, ce qu’il appelait la « morale sensitive ». Et il n’est pas très éloigné de cet autre citoyen naturalisé suisse sur le tard qu’était Nietzsche, qui parmi d’autres propos beaucoup plus contestables, dénonçait dans la peur du risque et de la souffrance un une véritable peur de la vie, lui qui voyait dans l’enfant un être capable de porter des valeurs beaucoup plus librement et gaiement que « le chameau et l’âne »…

Jean-Michel Galano

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