Il y a quarante ans, la guerre des Malouines éclairait d’un jour brutal la réalité des impérialismes.
Impérialisme de la dictature argentine d’abord : le chef de la junte militaire, le général Galtieri, a organisé une opération militaire d’envergure pour reconquérir ces îles, annexées par la Couronne depuis 1883 et presque exclusivement peuplées de générations de colons britanniques. Il s’agissait pour ce dictateur, confronté à des échecs économiques, à un mécontentement social grandissant et à l’audience acquise par les « filles de la place de mai » de retourner en sa faveur l’opinion publique.
Opération réussie dans un premier temps, comme en témoignent les images de la foule en délire dans le centre-ville de Buenos-Aires. Une union sacrée cimentée par le chauvinisme le plus agressif et le plus grossier, qui allait se révéler aussi éphémère qu’elle avait été violente.
Impérialisme de la Grande-Bretagne ensuite : Thatcher, en difficulté elle aussi sur le terrain social mais également en raison de la guerre civile en Irlande du Nord, a été trop heureuse de sauter sur l’occasion. L’union sacrée réalisée autour de l’expédition menée pour récupérer « nos îles » (les Malouines, autrement dites Falklands, mais aussi la Géorgie du Sud, beaucoup plus éloignée des côtes argentines, presque inoccupée et britannique depuis toujours. Les militaires, qui occupent une place éminente dans l’establishment, étaient manifestement ravis d’en découdre. Les médias se faisaient les relais complaisants des déclarations les plus bellicistes, du genre « La Géorgie du Sud sera l’apéritif, et on a hâte d’en venir au plat principal ». Les manifestations de chauvinisme n’avaient rien à envier à celles qu’on connaissait en Argentine. Les résidents des îles anglo-normandes levèrent des fonds considérables en faveur de l’armée britannique…
Impérialisme des Etats-Unis enfin : tout en jouant devant les caméras les messieurs bons-offices et les modérateurs, le gouvernement de Reagan s’attacha au maximum à ménager Thatcher, rappelant discrètement aux Argentins la vieille tradition états-unienne de la doctrine de Monroë : l’Amérique latine est en dernière instance notre « chasse gardée », particulièrement en ce qui concerne la gestion des ressources économiques. Or il était déjà de notoriété publique que d’importantes ressources pétrolières encore inexploitées se trouvaient à proximité des Malouines, pour ne rien dire de toutes celles liées à la faune et à la flore marine, ni de l’importance stratégique de ces terres proches de l’Antarctique. « Une odeur de pétrole », titrait l’Humanité dès le début des opérations militaires. Une odeur de plus en plus forte au fil des années…
Ce que ce conflit aurait dû révéler à tout le monde, c’est que s’il peut y avoir des rivalités féroces entre les divers impérialismes, aucun d’entre eux n’est meilleur que l’autre Et que « comme la nuée porte l’orage », tout capitalisme en crise est porteur au moins potentiellement d’une aventure extérieure militaire, ne serait-ce que pour flatter son opinion publique.
Le bilan humain de la guerre des Malouines est de plus de 900 morts, avec de nombreux blessés et traumatisés à vie. La dictature argentine s’est effondrée, l’impérialisme britannique s’est renforcé, les revendications demeurent. Le gouvernement argentin a fini par obtenir que l’Union Européenne exclue les exportations malouines des accords du Brexit, ce qui porterait un coup sévère à l’économie de l’archipel. Plutôt que de continuer à faire la guerre par d’autres moyens, ne serait-il pas temps de réfléchir à un autre ordre économique international et à des coopérations mutuellement avantageuses pour tous les peuples ? Une chose est certaine : la politique de la force n’apporte jamais aux peuples que la misère et le malheur.
Jean-Michel Galano