white nuclear plant silo under orange sky at sunset

En finir avec les préjugés sur le nucléaire civil

Face à une potentielle situation de pénurie d’électricité en France, le débat sur la stratégie énergétique de notre pays fait rage. Les interventions médiatiques se multiplient de la part de politiques et d’éditorialistes plus ou moins bien formés à cette question. De son propre aveu, la secrétaire nationale d’EELV, Marine Tondelier, a par exemple expliqué qu’elle « n’a pas un bac S, mais une culture militante du nucléaire ». D’autres, justifiant leur attachement aux énergies renouvelables et leur opposition au nucléaire civil, s’appuient sur l’exemple de l’Allemagne. Ce même pays fait aujourd’hui face à une fronde des écologistes locaux contre l’extension d’une mine de charbon, décidée par le gouvernement pour maintenir disponible une énergie pilotable.

La question qui nous est posée est en fait la suivante : quelle expertise favorisons-nous entre celle d’une culture militante et celle d’une culture scientifique ? Pour y répondre, nous avons lu l’ouvrage de Sébastien Menesplier et François Duteil : Le nucléaire par ceux qui le font : paroles de salariés (éditions Arcane 17).

Première affirmation : « Le nucléaire serait dangereux pour notre santé »

Au premier abord, il est vrai qu’une centrale nucléaire semble n’avoir rien de sympathique : ces grandes tours bétonnées dont une épaisse fumée blanche s’échappe ne rassurent pas. C’est oublier que cette fumée est parfaitement inoffensive pour la santé, étant de la simple vapeur d’eau.

Par ailleurs, il n’y a jamais eu de terre irréversiblement polluée dans le cadre du fonctionnement normal d’une centrale nucléaire. Si certaines associations écologistes multiplient les coups médiatiques pour alerter sur la potentielle question de « rejet de radioactivité », les niveaux de mesures restent toujours largement inférieurs aux niveaux maximum recommandés. Et pour l’anecdote : la première source de radioactivité à laquelle sont confrontés les Français est la radiographie ou la radiothérapie, ou encore la radioactivité naturelle comme celle émanant du granit en Bretagne.

Autre anecdote citée dans l’ouvrage : les centrales à charbon émettent aujourd’hui plus de radioactivité que les centrales nucléaires. Certes toujours moins que les niveaux dangereux fixés par les normes sanitaires, mais toujours plus que les centrales nucléaires, sous forme de radioéléments naturels. Ces centrales produisent également des déchets radioactifs : les cendres, qui représentent 15 % de la masse du combustible.

Enfin, la seule autre énergie pilotable du même ordre de grandeur que le nucléaire reste le charbon. Si son effet sur le plan climatique est désastreux, son effet sur le plan sanitaire l’est tout autant. Aujourd’hui, les dizaines de centrales en Europe provoquent chaque année des milliers de morts à travers les territoires. Selon une étude de The Lancet publiée en 2007, pour la production de 100 TW/h, le charbon provoque 2450 décès et 22 500 maladies graves, quand le nucléaire en provoque 5 à 22.

Deuxième affirmation  :  « Le nucléaire génère des déchets radioactifs dont on ne saurait que faire »

Souvent, dans l’imaginaire collectif, nos centrales nucléaires produiraient des milliards de tonnes de déchets dont il serait impossible de se débarrasser. C’est par ailleurs un argument martelé par divers représentants et associations écologistes pour lutter contre le nucléaire civil. Qu’en est-il ?

Tout d’abord, sur le total de déchets radioactifs produits par la France chaque année, 60 % proviennent des centrales nucléaires et 40 % de la recherche scientifique ou médicale. Conclusion : même si nous nous passions du nucléaire, une quantité non négligeable de déchets continuerait d’être produite.

De plus, sur la totalité des déchets, l’immense majorité est très peu radioactive et seule une petite minorité concentre la quasi-totalité des problèmes. Ainsi, seuls 3,6 % du volume total concentre 99,8 % de la radioactivité. Selon les auteurs : « L’ensemble des centrales françaises a produit en 50 ans de fonctionnement l’équivalent d’une piscine olympique de déchets ».

Troisième affirmation : « Le nucléaire serait à la merci d’accidents gravissimes »

Comme le remarquent les deux auteurs de Le nucléaire par ceux qui le font : paroles de salariés, « L’avion fait plus peur que les autres moyens de transport parce que les catastrophes aériennes sont spectaculaires mais c’est pourtant statistiquement le plus sûr. » Il en est de même pour le nucléaire.

Dans l’imaginaire collectif, une centrale nucléaire pourrait exploser comme une bombe atomique. Réponse des auteurs : « C’est rigoureusement impossible ». Il peut cependant exister des accidents similaires à des catastrophes industrielles majeures : ce sont les accidents de Tchernobyl et Fukushima.

Quel bilan pour Fukushima ? La zone évacuée autour de la centrale est de 370 km². Cette surface est importante, mais comparable au 500 km² de terres stérilisées en Allemagne pour l’exploitation du charbon. Les quelque 95 000 personnes évacuées sont aussi à comparer au million de personnes qui ont perdu leurs logements lors de la construction du barrage des trois gorges en Chine. Enfin, selon Sébastien Menesplier et François Duteil, « Il y a bien eu 20 000 morts à Fukushima, mais principalement à cause du séisme et de ses conséquences naturelles ».

Autre anecdote : on compte, dans l’histoire de la production d’électricité, beaucoup plus de décès dus aux accidents de rupture de barrages hydroélectriques qu’au nucléaire.

Par ailleurs, ces accidents ont conduit la France a créer l’une des agences de sûreté du nucléaire les plus sérieuses au monde, et aucun accident n’a eu lieu en quarante années d’exploitation. Encore en  2020, 1573 inspections, dont une partie inopinée, ont été effectuées, donnant lieu à 24 886 lettres de suite d’inspection (arrêt d’un chantier, astreinte financière, sanctions juridiques).

La question énergétique ne peut donc être tranchée sans une présentation complète de chacun des modes de production. Dans un contexte de crise climatique et de réduction des ressources naturelles à notre disposition, ce choix de ne peut s’effectuer sans comparer rationnellement avantages et inconvénients de ces différents modes de production, et ce sans caricature. Aussi, les exemples de stratégies choisies par nos voisins doivent nous guider honnêtement. Par exemple, dire que l’Allemagne est un exemple en termes d’investissement dans les énergies renouvelables sans mentionner qu’elle a dû relancer l’exploitation du charbon est une erreur.

Si la crise énergétique que vivent les Européens a bien un avantage, c’est bien celui de l’éveil des consciences quant à notre nécessaire souveraineté énergétique — et au rôle que le nucléaire peut jouer pour y parvenir.

Pierrick Lavoine