Lilia Hassaine ne fait rien comme tout le monde.
On l’attend comme chroniqueuse vedette du petit écran. C’est une jeune journaliste médiatisée par l’émission branchée Quotidien à une heure de grande écoute. Un beau jour, elle décide de plaquer à répétition les plateaux de télévision pour écrire deux romans différents, publiés chez Gallimard : L’Oeil du paon (2019), conte fantastique et insulaire qui vire à la chronique parisienne et satirique d’exil ; puis Soleil amer (2021), fiction personnelle, puisant dans la mémoire de l’immigration algérienne et d’un roman familial douloureux.
Son dernier roman figurait sur la liste du Goncourt. On attendait une confirmation dans sa carrière de romancière, avec le label de la collection blanche Gallimard. Et nouvelle surprise : voici Lilia Hassaine ailleurs, dans un court et inclassable recueil poétique d’une cinquantaine de pages non numérotées, comme autant de feuillets, entrecoupées d’illustrations, des bulles effervescentes à intervalles incertains, chez un éditeur plus confidentiel.
« Des choses sans importance »… La litote et le renversement paradoxal se fondent sur une citation de Dostoïevski en épigraphe : « Les petites choses ont leur importance ; c’est toujours par elles qu’on se perd ». Cela donne un très curieux objet sur l’étal des libraires : succession de fragments, « blessures anodines », « rêves futiles », « paroles entendues ». Souvent les recueils poétiques sont intimidants pour le profane par leur caractère inaccessible. On est frappé ici par la simplicité, l’innocence, le caractère enfantin de ces paroles jetées au vent et livrées instantanément au grand public.
Mots chuchotés, aphorismes pressés, impressions furtives, carnet de notes et de souvenirs feuilletés… Il en résulte une succession rapide, parfois joueuse, parfois naïve, parfois brillante, de mots intimes qui s’égrènent au fil des pages… entre la poésie, la tentation d’essayiste, les aveux autobiographiques en sourdine – d’une jeune femme qui dit avant tout que sa vérité est de vouloir rester cette enfant qu’elle a été.
Peines de coeur perdues :
« Je te quitte./ Ca t’apprendra à vouloir rester avec moi. »
« Je ne me souvenais pas que, sans toi, j’avais froid. »
Avertissements mystérieux.
« Je crains que par paresse/ tu n’ailles pas au bout de toi-même. »
« J’ai reconnu en toi le monstre qui est en moi. »
Considérations sur l’écriture et sur « les mots » :
« J’avais annulé mes vacances pour pouvoir écrire./ Je n’ai rien écrit./Les mots sont des chats sauvages qui griffent quand on les attrape et ne se laissent caresser que lorsqu’on les oublie. »
En un mot, ce très curieux objet coloré et irisé, cette sorte de caprice qu’est ce livre ne se laisse pas non plus attraper. C’est ce qui en fait, jusque dans son instabilité enfantine, sa gracieuse légèreté.
Romain Lancrey-Javal
Lilia Hassaine, Des choses sans importance, L’iconopop, mars 2023, 50 pages.