Ce que le métro fait à nos oreilles

Billet — Ce que le métro parisien fait à nos oreilles

Le métro parisien donne l’impression d’une vieille pétoire. Le service est de plus en plus déliquescent, ruiné par le sous-financement chronique. Mais la RATP adopte, à contre-emploi, toute la parade publicitaire de l’entreprise privée. Et voilà qu’elle nous donne du « Chers clients », installe des dispositifs auto-promotionnels colorés, revendique désormais de nous rendre une palanquée de services luxueux (dont, les jours de pluie, un prétendu « prêt de parapluie disponible dans cette station »). L’écart entre ce tapage bienveillant et la panade quotidienne des trajets est comique.

Mais s’il arrive que les trains fonctionnent sans trop de retard, vous deviendrez durant votre parcours la proie d’une autre nouveauté. « Chers clients, le carnet de ticket T+ en carton fait ses adieux ! ». L’annonce est diffusée par tous les haut-parleurs du réseau. Dans chaque couloir, dans chaque recoin de la moindre station. Une fois. Deux fois. Dix fois dans le même quart d’heure. Encore et encore. Depuis des mois et des mois. Le carnet de ticket T+ en carton fait ses adieux. C’est un bassinage, un harcèlement sonore, un hululement désespéré. L’information, passionnante — le carnet de ticket T+ en carton fait ses adieux —, nous est administrée à l’entonnoir. On imagine quelque sadique, dans la haute tour où se décide ce bombardement déclamatoire, jouir à chaque répétition de la ritournelle. Hilare, surexcité, il appuie frénétiquement sur le bouton : le carnet de ticket T+ en carton fait ses adieux !

La RATP a réinventé la torture romaine de la goutte d’eau. Et quand le diffuseur pervers est pris d’un élan de miséricorde, quand mystérieusement il consent à nous accorder une grâce, voilà qu’un autre message saturé et strident prend la place du premier, puis deux, puis trois différents, autant d’annonces imbéciles, d’informations anecdotiques, de vaines rengaines à usage semi-interne. Oui, le métro est devenu le lieu d’une maltraitance auditive. La possibilité même du silence en a été sauvagement supprimée. En pénétrant dans une station de métro, nous faisons don à la RATP de nos oreilles. Afin qu’elle puisse nous édifier derechef : le carnet de ticket T+ en carton fait ses adieux.

Maxime Cochard

Photo credit: DimB Photo on VisualHunt