L’amour est sobre. Il dure une vie, rencontre seulement des péripéties mineures. Les relations difficiles, tumultueuses, conflictuelles, traversées par les voyages, les adultères, les tentatives de meurtre et la vaisselle qui vole sont omniprésentes en littérature. L’amour qui court sur les décennies et unit les personnes ordinaires est autant rare en fiction que banale dans le réel.
Les rencontres improbables entre personnes de milieu sociaux opposés forment aussi de belles histoires. Bégaudeau en a parfois fait son sujet. En guerre s’ouvre sur une description des déplacements de personnages que tout éloigne. La possibilité de la rencontre est alors l’enjeu du roman. Dans Entre les murs et Ma cruauté, qui se déroulent respectivement dans un collège et une université, la violence sociale est aussi celle de la hiérarchie des rapports au langage, des différences de capital culturel, de l’implicite nécessaire à la communication.
Dans L’amour, Jeanne et Jacques Moreau, Vendéens, habitants du Maine-et-Loire, appartiennent à la même classe moyenne. Le langage est commun, le discours indirect libre, les péripéties minimes, le temps resserré et l’enfant unique. Jeanne et Jacques se rencontrent au début de l’âge adulte. « Ils demandent si ça va, ils disent qu’ils font aller » « Elle n’aime pas les bracelets en acier mais sur lui ça va. »
L’amour est un roman du déterminisme. Les personnages sont jeunes et les choses arrivent « comme par hasard », « mais maintenant qu’on y est, il est trop tard pour reculer ». La situation « tourne au baiser ». D’autres destins avancent, en parallèle, parfois plus tumultueux. De loin, on est témoin de quelques violences conjugales, on est choqué, on réagit, puis on n’en parle plus.
Jeanne et Jacques ne gênent personne, et leurs sentiments sont sincères. A l’inverse, « le jour où le chasseur se tue dans un accident rien moins que tragique, la baronne croit mourir de désespoir comme les violons l’indiquent. » Les Moreau n’ont pas conscience de jouer un rôle. La drague est codifiée, les expressions toutes faites, le ton professionnel.
Devenus parents, ils n’ont plus que des couples d’amis. « Les sorties personnelles se font rares », puis « les sorties tout court ». Le temps passe, et il se passe des marqueurs temporels. Nous sommes à la fin de la guerre d’Indochine, au téléphone portable à touche, à la « compta » qui « rend chèvre », aux victoires de Lewis Hamilton, au fils qui s’éloigne bientôt de « ses renps ».
Le temps passe, les noms changent, et, pour Jeanne, la salle omnisports est encore un gymnase. Jeanne et Jacques sont éprouvés par le décès du chien, puis celui des parents, et il faudra bientôt renouveler la concession. Ils ont récupéré le buffet des parents. Il dénote dans l’appartement, mais on ne peut pas tout bazarder non plus. Jacques énerve Jeanne à ne rien dire. Il est énervé quand elle lui demande à quoi il pense. Les examens de Jeanne sont inquiétants, mais la tumeur peut encore être traitée. Puis, dans quelques pages, tous deux ne diront plus rien.
Vivian Petit