Le grand menu de Bill François, un régal d’érudition

Histoires naturelles dans nos assiettes. Le sous-titre du succulent livre de Bill François Le plus grand menu du monde (Fayard, 2023) est riche de connotations scolaires, culturelles, savantes et culinaires. Il renvoie à Jules Renard et Maurice Ravel et à leur humour drolatique, aux leçons de choses des écoles d’antan, à une série documentaire des années 1980 et aux défenseurs de la nature qui y étaient associés, à une écologie étayée et à la gastronomie. Et Bill François est tout cela à la fois : un conteur drôle, un savant rigoureux, un pédagogue brillant, un défenseur inlassable de la flore et de la faune, un amateur éclairé des bonnes choses.

L’auteur est connu. Son premier ouvrage sur la vie secrète du monde sous-marin, intitulé avec esprit Éloquence de la sardine (Fayard 2019), a été traduit en dix-sept langues. Le jeune écrivain, biophysicien, naturaliste, a un talent certain pour diffuser ses amples connaissances : en témoignent ses apparitions télévisuelles et ses multiples conférences, dont une que nous avons savourée sous l’ombre de grands platanes méridionaux. Le sujet de sa thèse – la mécanique des fluides appliquée aux déplacements des bancs de poissons – marie le plus grand sérieux, les connaissances scientifiques les plus maitrisées et un je ne sais quoi qu’on peut nommer fantaisie. Mais revenons à nos dindons, saumons, oignons dont il est question ici. Quel menu nous mitonne notre chef ?

Le projet obéit à la faculté de partager. « Tapies au coin de l’assiette, les histoires, bien vivantes, ne demandent qu’à être écoutées ». Partant de plats, viandes, céréales, épices, légumes et fruits que nous trouvons sur nos tables, Bill François remonte aux origines des produits, raconte l’aventure de telle plante, recense les goûts – ô dégustateurs naïfs et atrophiés qui limitiez jusqu’à aujourd’hui nos perceptions des goûts à quatre ! –, décrypte le sens des civilisations toutes liées à une céréale essentielle, révèle qu’Heredia – oui, le poète parnassien ! – prouva l’origine (aztèque) du nom des haricots et que « tout commence avec les pistaches », rappelle que la tomate, réhabilitée par les soldats du Sud chantant la Marseillaise, a longtemps été victime d’un ostracisme, car associée « aux horribles plantes des sorcières ». Subjugués par ce Boccace au Decameron sensuellement gustatif, vous serez fascinés par le drame de la guêpe dévorée vivante par la figue enfin fécondée, étonnés par l’appétence des plantes pour tarir l’appétit des insectes prédateurs, émoustillés par le récit de la mouche tombant, gorgée d’alcool dans un seau de lait, mariant ses levures à d’autres opportunes et créant la lignée des fromages, surpris par la révélation du « syndrome de domestication », un « fascinant mystère » produisant chez tous les animaux domestiqués les mêmes effets : oreilles tombantes, robes pie, museau raccourci… 

Vous suivrez aussi dans sa quête inlassable de nouvelles viandes à déguster  l’insatiable Frank Buckland, véritable héros de cette Odyssée gastronomique : ce gourmet impénitent ne me-il pas à ses menus prisés et à toutes les sauces les animaux, quels qu’ils soient, connus dans l’Angleterre de son temps ? Vous apprendrez comment Poivre rencontra Muscade et pourquoi, au nom de la belle parfumée, on parle anglais à Manhattan. Et encore « comment un animal vénéré par des peuples entiers s’est transformé en nuggets ». Oiseaux et insectes sont ici les grands fécondateurs de la terre, pourvoyeuse de merveilles. Voici la plus poétique, nichée… dans la patate, plus précisément la pomme de terre dont l’auteur livre le secret amoureusement : « Pour lire son code, il faut la regarder dans les yeux. Les « yeux » sont ces points noirs que l’on peine à retirer en épluchant le tubercule. […] Le message est bien caché, mais un observateur perspicace remarquera que, sur notre patate, les yeux ne sont pas répartis au hasard ». Et l’on découvre, les reliant entre eux suivant leur ordre d’apparition, que se dessine une spirale dont les proportions sont celles, parfaites, révérées par les architectes, les artistes, les mathématiciens, de la « règle d’or ». Dame Nature esthète, mais plus encore pragmatique : « On sait aujourd’hui que la pomme de terre suit cette règle d’or pour optimiser l’agencement de ses futures feuilles. Par cette disposition des bourgeons, le feuillage captera un maximum de rayons de soleil ». Lumineux.

Au-delà du pittoresque savant, Bill François plaide sans alourdir le plat et le pimenter à l’excès pour une protection des espèces, un traitement respectueux des animaux, la défense vigilante de la biodiversité, une nourriture équilibrée et équitablement partagée. Pour les lecteurs curieux de s’alimenter aux meilleures sources, l’auteur et l’éditeur ont prévu un QR code. D’un clic vous aurez accès aux images d’archive, témoignages historiques, articles scientifiques étayant toute l’information qui nourrit le livre.

Bonne lecture et… bon appétit.

Jean Jordy